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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

depuis la fin de 1911, les services du Quai d’Orsay ne possédaient pas le chiffre allemand et qu’ils ne l’ont découvert que beaucoup plus tard pendant la guerre. C’est sous le ministère Clemenceau qu’ont été lus, pour la première fois, les télégrammes envoyés ou reçus par M. de Schœn en 1914. On n’aurait donc pu, au ministère, lire le télégramme avant d’y toucher.

Brouillé ou non, d’ailleurs, le texte de M. de Jagow ne contenait que des allégations fausses. Pas plus sur terre que dans les airs, nos troupes n’avaient dépassé la frontière française. Le 3 août, un communiqué de l’agence Wolff annonçait audacieusement que, depuis la veille, des compagnies françaises se trouvaient à Sainte-Marie-aux-Mines, à Metzeral, à Valdieu, c’est-à-dire aux points de commande des hautes vallées d’Alsace. Rien n’était vrai dans cette note et, après l’avoir reproduite dans un projet de télégramme, le chancelier avait cru plus prudent de n’en pas faire usage dans un document officiel. Il en était de même du reste.

Il serait, du reste, oiseux de prolonger cette discussion. Soit dans la note de M. de Schœn, soit dans les instructions qu’il avait reçues, aucun grief n’est fondé et on n’a même jamais essayé de justifier les plus graves : destruction à Wesel, survol dans la région de l’Eifel, bombes sur les voies à Karlsruhe, bombes sur les voies à Nuremberg. Aussi bien, la probité de M. de Schœn a-t-elle été profondément froissée par les misérables prétextes qu’avait imaginés son gouvernement, et il a écrit dans ses mémoires ces phrases, qui forment la plus sobre et la plus juste des condamnations : La responsabilité à endosser était si grave qu’elle nécessitait pour agir des arguments irréfutables. Même si ces attaques avaient eu lieu réellement, il ne fallait pas leur attribuer l’importance d’attaques de guerre. Mais le gouvernement impérial n’y regardait pas de si près. Il était pressé et cherchait des arguments à la hâte. M. de Jagow avait parlé à M. Jules Cambon d’un avion français qui aurait été vu à Coblentz. Il n’en a plus soufflé mot, quelques heures après, dans la note envoyée à Paris. Il aurait aussi bien parlé d’un avion aperçu à Berlin, si son imagination n’avait hésité à nous prêter un vol aussi lointain.

En relisant la déclaration de guerre, M. Viviani et tous les ministres appliquent, sous des formes diverses, à Guillaume II et à ses conseillers le quos vult perdere Jupiter dementat. Comment le gouvernement impérial peut-il ainsi, dès le début d’un aussi terrible conflit, sacrifier l’honnêteté des moyens au but que lui propose sa mégalomanie ? Devant cette stupéfiante inconscience, nous faisons, en Conseil, un retour sur nous-mêmes, et nous gardons tous le sentiment très net que nous n’avons rien à nous reprocher. Pour moi, qui, depuis janvier 1913, n’ai accompli, en dehors