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RAYMOND POINCARÉ

une inconvenance envers les trois royaumes scandinaves et qu’on nous reprocherait de troubler le monde. Nous maintenons donc nos projets.

Dans la soirée du 13 juillet, le président du Conseil et le ministre de la Guerre, MM. Viviani et Messimy, viennent successivement me rendre compte d’un long et grave débat qui a eu lieu au Sénat. Il s’agissait du projet de loi, depuis trop longtemps en souffrance, qui autorise les ministres de la Guerre et de la Marine à engager des dépenses non renouvelables en vue de pourvoir aux besoins de la défense nationale. Le rapporteur de la commission sénatoriale de l’armée, M. Charles Humbert, s’est plaint non sans raison que ce projet, déposé le 27 février 1913 et prévoyant un crédit de quatre cent vingt millions pour l’amélioration de l’outillage militaire, n’eût pas encore été voté. Il a fait ensuite un tableau très noir de la situation. M. Messimy a répondu en rappelant que les programmes du ministère de la Guerre s’étaient souvent heurtés, depuis de nombreuses années, aux objections du ministère des Finances, et il a montré que néanmoins de multiples améliorations avaient été récemment introduites dans l’organisation et dans l’équipement de l’armée. Il n’a pas cependant réussi à calmer l’émotion du Sénat. La séance a été renvoyée au mardi 14 à deux heures pour la continuation du débat et pour l’achèvement de ce budget de 1914 dont le vote a été si longtemps retardé. On siégera donc le jour de la fête nationale. Est-ce bien le moment de donner tant de publicité aux insuffisances de notre organisation militaire ? Et n’aurait-on pas mieux fait de voter plus tôt les lois proposées ? Maintenant, Guillaume II peut répéter, en toute assurance, ce qu’il a déjà dit à l’Autriche pour l’encourager, que ni la France, ni la Russie ne sont actuellement en état de faire la guerre.

Dans la matinée du 14, à Longchamp, très belle revue sous un ciel pur. À l’aller et au retour, dans les allées du Bois, la foule est si vibrante que M. Messimy m’exprime, avec une nuance d’étonnement, sa satisfaction de me voir si chaudement accueilli. Mais, cette fois encore, ce n’est pas à moi, c’est à l’éphémère personnification de la France que vont ces hommages rituels. Tout au plus est-il possible que mon départ pour l’étranger inspire aux Parisiens la pensée de m’adresser, avec une chaleur particulière, leurs vœux de bon voyage. Mais, dans ces manifestations non plus, n’est pas poussé un seul cri dont puissent s’inquiéter les plus ombrageux amis de la paix.

Dans l’après-midi, après le déjeuner que j’offre, suivant l’usage, aux officiers généraux, M. Abel Ferry vient me dire, de la part de M. Viviani, que la discussion se prolonge au Sénat, que M. Clemenceau, d’accord avec M. Charles Humbert, songe à proposer la nomination d’une commission d’enquête, et il me demande mon avis. M. Viviani