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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914.

paraît disposé à accepter, tout au moins, que des pouvoirs d’enquête soient donnés à la commission sénatoriale de l’armée. Je ne dissimule pas à M. Abel Ferry que cette mesure me semblerait une abdication du gouvernement, et je la déconseille. Vers dix heures et demie du soir, j’apprends enfin que M. Clemenceau a retiré sa motion, combattue par M. Viviani, et qu’on s’est borné à charger la commission de l’armée de rédiger un rapport détaillé.

Pendant que la France célèbre tranquillement sa fête nationale, de grandes décisions sont prises à Vienne, sans que notre ambassadeur puisse s’en douter. Depuis quelques jours, la résistance du comte Tisza a faibli. Il a écrit à l’Empereur pour faire valoir ses objections contre une action immédiate ; mais Berchtold lui a montré « les difficultés militaires qui pourraient résulter d’un retard », il a invoqué le témoignage du chef d’État-major Conrad von Hoëtzendorff et, en même temps, après s’être entretenu avec Tschirschky, il a répété à Tisza : En Allemagne, on ne comprendrait pas que l’Autriche laissât passer cette occasion sans porter un coup. Si nous transigions avec la Serbie, on nous taxerait de faiblesse, ce qui ne serait pas sans effet sur notre situation dans la Triple-Alliance et sur la future politique allemande.

Ainsi sermonné, le comte Tisza finissait par céder, l’accord se faisait sur les conditions inexorables à insérer dans l’ultimatum et, le 14 juillet, dans son rapport à l’Empereur, Berchtold écrivait triomphalement : Le contenu de la note est tel qu’on doit compter avec la probabilité d’un conflit armé.

Le même jour, le comte Tschirschky télégraphiait à Berlin : Le comte Tisza est venu me voir aujourd’hui, après sa conversation avec le comte Berchtold. Il m’a dit qu’il avait toujours conseillé la prudence, mais que chaque jour l’avait confirmé dans l’opinion que la Monarchie devait en venir à des résolutions énergiques. (Assurément, annote Guillaume II)… Le comte Tisza ajoute, continuait Tschirschky, que la position prise par l’Allemagne, qu’elle se tiendrait aux côtés de la Monarchie, a exercé la plus grande influence sur la ferme attitude de l’empereur François-Joseph. Si donc l’Allemagne avait voulu retenir l’Autriche, elle l’aurait pu. Bien mieux : sans même la retenir, elle n’aurait eu qu’à ne pas la pousser, pour que François-Joseph et le comte Tisza eussent des chances de réussir à modérer l’action projetée.

Le comte Tschirschky poursuivait : En ce qui concerne le moment de la remise à la Serbie, il a décidé aujourd’hui qu’il était préférable d’attendre le départ de Poincaré de Saint-Pétersbourg, c’est-à-dire le 25. Et Guillaume II, toujours impatient et nerveux, jette sur la marge du rapport ces deux mots désenchantés : Quel dommage !

À cette même date du 14 juillet, Guillaume entre en scène plus