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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

envoie à Munich, au président du Conseil des ministres, un rapport singulièrement révélateur : D’après les conversations que j’ai eues avec le sous-secrétaire d’État Zimmermann, avec les chefs de service chargés des affaires des Balkans et de la Triple-Alliance, au ministère des Affaires étrangères, et avec l’ambassadeur d’Autriche-Hongrie, j’ai l’honneur d’adresser à Votre Excellence le rapport suivant sur les mesures projetées par le gouvernement austro-hongrois à l’égard de la Serbie. La démarche que le cabinet de Vienne a décidé d’entreprendre à Belgrade, et qui consistera dans la remise d’une note, aura lieu le 25 de ce mois. La remise de toute action jusqu’à ce moment-là a pour motif qu’on désirait attendre le départ de MM. Poincaré et Viviani de Pétetsbourg, pour ne pas faciliter aux puissances de la Duplice une entente en vue d’une contre-action éventuelle. Jusqu’ici on se donne à Vienne l’apparence de sentiments pacifiques par la mise en congé simultanée du ministre de la Guerre et du chef de l’État-major général, et on agit aussi, non sans résultat, sur la presse et sur la Bourse… Ainsi que me l’a dit M. Zimmermann, la note, d’après ce qui a été établi jusqu’ici, contiendrait les exigences suivantes : 1o une proclamation du roi de Serbie dans laquelle il serait dit que le gouvernement serbe est entièrement étranger à l’agitation panserbe et la désapprouve ; 2o l’ouverture d’une enquête contre les complices de l’attentat de Serajevo et la participation d’un fonctionnaire autrichien à cette enquête ; 3o des poursuites contre tous ceux qui ont participé au mouvement panserbe. Pour l’acceptation de ces demandes, on assignera un délai de quarante-huit heures. Il est évident que la Serbie ne peut accepter de pareilles conditions, qui sont incompatibles avec sa dignité d’État indépendant. La conséquence sera donc la guerre. Ici (à Berlin) on admet très bien que l’Autriche profite de l’heure favorable, même aux risques de complications ultérieures. Mais le point de savoir si véritablement à Vienne on aura l’énergie de le faire paraît à M. de Jagow, ainsi qu’à M. Zimmermann, encore fort douteux. Le sous-secrétaire d’État a déclaré que l’Autriche-Hongrie, grâce à son indécision et à son inconséquence, était maintenant devenue, comme autrefois la Turquie, l’homme malade de l’Europe, dont les Russes, les Italiens, les Roumains, les Serbes et les Monténégrins attendaient le partage… On est d’avis ici qu’il s’agit pour l’Autriche d’une heure décisive et, pour cette raison, on a déclaré ici sans hésitation, en réponse à une demande de Vienne, que nous approuvions toute résolution qui serait prise à Vienne, même au risque d’une guerre avec la Russie. Le pouvoir en blanc qu’on a donné au chef de cabinet du comte Berchtold, le comte Hoyos, qui était venu ici pour la remise d’une lettre autographe de l’Empereur et d’un mémoire détaillé, allait si loin que le gouvernement austro-hongrois a été autorisé à négocier avec la Bulgarie pour la faire entrer dans la Triple-Alliance. À Vienne, on ne parait pas s’être attendu à une intervention si dépourvue de réserve de l’Allemagne en faveur de la Monarchie du Danube et M. Zimmermann a l’impression qu’il était presque désagréable aux autorités toujours crain-