Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/30

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
26
RAYMOND POINCARÉ

tives et indécises de Vienne de ne pas être exhortées par les Allemands à la prudence et à la modération… On aurait préféré ici que l’action contre la Serbie ne se fût pas fait attendre si longtemps et qu’on n’eût pas laissé au gouvernement serbe le temps d’offrir spontanément une satisfaction sous la pression franco-russe… Dans l’intérêt de la localisation de la guerre, le gouvernement de l’Empire, immédiatement après la remise de la note autrichienne à Belgrade, engagera une action diplomatique auprès des grandes Puissances. En faisant ressortir que l’Empereur est engagé dans un voyage dans la mer du Nord et que le chef du grand État-major général, ainsi que le ministre de la Guerre de Prusse sont en congé, il prétendra avoir été aussi surpris de l’action autrichienne que les autres Puissances… Il fera valoir qu’il est de l’intérêt commun de tous « que le nid d’anarchistes de Belgrade » soit anéanti, et il s’efforcera de faire valoir chez les puissances le point de vue que le règlement entre l’Autriche-Hongrie et la Serbie est une affaire qui ne concerne que ces deux États.

La lettre de M. de Schœn continue encore sur plusieurs pages et prouve que le gouvernement allemand, tout en espérant qu’on arriverait à localiser la guerre, avait parfaitement reconnu qu’on n’était pas sûr d’y réussir et avait, dès avant la remise de l’ultimatum, froidement admis la possibilité d’une conflagration générale.

Le rapport de M. de Schœn est, d’ailleurs, confirmé par une lettre personnelle de M. de Jagow, qui, le 18 juillet, écrit au prince Lichnowsky, ambassadeur à Londres : « L’Autriche veut maintenant régler ses comptes avec la Serbie, et elle nous fait part de ses intentions… Nous ne devons et ne pouvons arrêter son bras… Si l’on ne parvenait pas à la localisation, alors ce serait la guerre, nous ne pouvons sacrifier l’Autriche. »

Appuyé au balcon de la France, je regarde le soleil qui se plonge dans la mer. M. Viviani vient s’accouder à mes côtés et nous demeurons silencieux, admirant la beauté du spectacle et guettant là-bas, à l’horizon, le fugitif rayon vert.


Dimanche 19 juillet. — Nous reprenons route au nord-est, sans accélérer l’allure. Le ciel est toujours radieux et la mer moutonne.

À la fin de la journée, nous nous trouvons à hauteur de Reval. Neuf contre-torpilleurs russes viennent à notre rencontre. Nous hissons le petit pavois avec pavillon russe au grand mât et nous nous arrêtons. Un de ces torpilleurs stoppe près de la France par tribord. Il nous amène deux officiers de marine, un capitaine de vaisseau et un capitaine de frégate, qui sont chargés de nous accompagner jusqu’à Cronstadt avec les neuf bâtiments.