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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

Tandis que nous naviguons ainsi, tout entiers à l’illusion de la paix, le Conseil austro-hongrois tient à Vienne une réunion décisive. Le comte Tisza s’est enfin rendu aux raisons de Berchtold et, le 18 juillet, le comte Hoyos vient de dire à Stolberg, conseiller de l’ambassade d’Allemagne : Les conditions (de l’ultimatum) sont telles qu’il est impossible à un État qui conserve encore un peu de fierté ou de dignité de les accepter. Hoyos n’a pas caché que, si les choses menaçaient de s’arranger, Berchtold saurait, pour rendre le conflit inévitable, exercer une ingérence très étendue dans l’exécution pratique des conditions posées.

L’Allemagne ainsi dûment informée, le Conseil austro-hongrois arrête, le 19, le texte définitif de l’ultimatum et, en même temps, il se trace un programme politique, que Berchtold déclare, du reste, provisoire et sujet à révision. On déclarera que la Monarchie n’entend annexer aucune partie du territoire serbe, parce que les Magyars ne veulent pas diminuer leur influence dans l’Empire dualiste par l’introduction de nouveaux sujets slaves. Mais on se réserve cependant de procéder à des annexions ultérieures, si la Russie attire à elle la Bulgarie. De toute façon, le royaume serbe sera écrasé et disloqué ; il sera placé dans la dépendance de la Monarchie ; on le contraindra à signer une convention militaire et à changer de dynastie. Des morceaux de Serbie seront partagés entre la Bulgarie, la Grèce, l’Albanie et, au besoin, la Roumanie. On déclarera donc aux Puissances que l’Autriche-Hongrie ne poursuit pas une guerre de conquêtes et ne cherche pas l’annexion du royaume, « mais, bien entendu, des rectifications de frontières pour raisons stratégiques, ainsi que le rapetissement de la Serbie au bénéfice d’autres États et, en cas de nécessité, l’occupation temporaire de territoires serbes, ne sont pas exclus par la décision prise ». Tels sont les desseins que forme, à notre insu, le vieil Empire des Habsbourg, talonné par son grand allié, qui se plaint de le trouver trop lent.

En ce même jour, de la mer où il croise près des côtes de Norvège, Guillaume II donne l’ordre de maintenir la flotte allemande concentrée jusqu’au 25, c’est-à-dire jusqu’après la remise de l’ultimatum autrichien. À Berlin, attitude concordante. Le chargé d’affaires de Serbie est venu trouver M. de Jagow et lui a remis une « note verbale ». Se sentant menacé d’une intervention de l’Autriche, le gouvernement serbe promet de poursuivre en justice tout sujet serbe dont la complicité dans le crime de Serajevo serait établie. Il s’engage à s’opposer énergiquement, sur le territoire serbe, à toute tentative qui pourrait troubler la tranquillité de la monarchie voisine ; il ajoute seulement qu’il ne saurait accepter des exigences incompatibles avec son indépendance et sa dignité. Que répond M. de Jagow ? Il évince le chargé d’affaires, il