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RAYMOND POINCARÉ

risât point avec l’Autriche. À Londres, télégraphiait-il, on compte absolument que nous ne nous associerons pas à des exigences qui ont manifestement pour but de provoquer la guerre, et que nous n’appuierons pas une politique qui exploite le meurtre de Serajevo comme un prétexte pour la réalisation des aspirations autrichiennes dans les Balkans et pour l’anéantissement de la paix de Bucarest. Guillaume  II annote, bien entendu, fort dédaigneusement ce télégramme, où il voit cette manière de penser britannique, dont il ne veut pas entendre parler.

Nous ne nous doutons pas davantage qu’aujourd’hui encore, 23 juillet, le chancelier de l’Empire d’Allemagne a prévenu le comte de Wedel, conseiller référendaire à la Wilhelmstrasse, ministre de la suite impériale, que la note autrichienne va être remise sous peu et a ajouté : L’intervention d’autres puissances nous entraînerait dans le conflit. Il n’est pas à supposer que cela se produise immédiatement, c’est-à-dire que l’Angleterre se décide, tout de suite, à intervenir. À lui seul, le voyage du Président Poincaré, qui quitte ce soir Cronstadt et visite Stockholm le 25, Copenhague le 27, Christiania le 29 et n’arrive à Dunkerque que le 31, retarderait toute résolution. La flotte anglaise, d’après les communications de l’État-major de l’Amirauté, se sépare le 27 et rentre dans ses ports. Un appel prématuré de notre flotte pourrait provoquer des inquiétudes générales et paraître suspect en Angleterre. Ainsi, le calcul apparaît clairement : on espère que le Président de la République et le Président du Conseil de France accompliront leur voyage sans l’abréger, que l’Autriche aura le temps d’écraser la Serbie avant leur retour et que l’Angleterre tardera à se prononcer. Le chancelier d’Empire estime que, dans ces conditions, mieux vaut attendre encore, avant de rappeler et de concentrer la flotte, de manière à endormir l’Europe, jusqu’à ce que l’Autriche ait achevé sa besogne.

Tout nous échappe de ces conspirations lointaines. M. Viviani et moi, nous nous délassons, au palais de Peterhof, des fatigues de la matinée. Entre temps éclate un orage épouvantable. Je tremble pour la tente que j’ai fait dresser à l’arrière de la France et sous laquelle doit avoir lieu ce soir mon dîner d’adieu. À six heures de l’après-midi, l’Empereur vient me chercher en automobile fermée. La pluie cesse, le ciel reste gris et brouillé, mais la soirée s’annonce comme devant être assez agréable. Nous gagnons rapidement l’embarcadère de Peterhof et nous montons dans le yacht Alexandria, avec l’Impératrice, les deux aînées des jeunes grandes-duchesses, la grande-duchesse Wladimir, les « deux Monténégrines », les grands-ducs et les officiers de la Cour.

À bord du yacht, M. Viviani, rasséréné comme le temps, prépare avec M. Sazonoff des instructions destinées à nos représentants en Autriche et ayant pour objet de préciser le sens des démarches amicales à