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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

faire auprès du cabinet de Vienne. Il s’agirait, comme M. Sazonoff l’a télégraphié, de recommander, avec beaucoup de discrétion et de tact, la modération à l’Autriche et de lui exprimer, en des visites séparées, l’espoir qu’elle n’entreprendrait aucune action capable de porter atteinte à l’indépendance et à l’honneur de la Serbie. M. Sazonoff et M. Viviani s’imaginent encore que cette tentative peut avoir lieu en temps utile.

Arrivé dans la rade de Cronstadt, le yacht stoppe et mouille l’ancre. Je descends le premier dans une vedette de la France, qui vient me chercher et me ramène au croiseur cuirassé. L’Empereur et la famille impériale nous y rejoignent peu de temps après.

Petites misères des réceptions officielles que ne surveille pas l’œil d’une femme : je ne suis pas très content du dîner. Nous avons dû attendre le potage après avoir pris place à table. Les plats se sont succédé sans que j’eusse à me promettre de féliciter le chef de cuisine. Nos hôtes n’en paraissent pas moins très satisfaits. Les conversations vont leur train. À la fin du repas, je porte à l’Empereur et à la Russie le toast suivant, où quelques historiens gallophobes, qui ont évidemment l’oreille fausse, ont prétendu, en ces dernières années, entendre résonner une note guerrière : Sire, je ne veux pas m’éloigner de ces rivages sans remercier encore Votre Majesté de la charmante cordialité qu’Elle m’a témoignée pendant mon séjour. Mon pays verra dans les marques d’attention qui m’ont été prodiguées et dans le chaleureux accueil que j’ai reçu du peuple russe un nouveau gage des sentiments que Votre Majesté a toujours manifestés envers la France et une éclatante consécration de l’indissoluble alliance qui unit les deux nations. Sur toutes les questions qui se posent chaque jour devant leurs gouvernements et qui sollicitent l’activité concertée de leur diplomatie, l’accord s’est toujours établi et ne cessera de s’établir avec d’autant plus de facilité que les deux pays ont maintes fois éprouvé les avantages procurés à chacun d’eux par cette collaboration régulière et qu’ils ont, l’un et l’autre, le même idéal de paix dans la force, l’honneur et la dignité.

J’avais, bien entendu, communiqué cette allocution à M. Viviani avant de la prononcer, et il n’y avait rien trouvé à redire. Mais il paraît aujourd’hui, à en croire certains commentateurs, que parler d’un idéal de paix dans la force, l’honneur et la dignité, c’était, en 1914, souhaiter la guerre. Ceux qui soutiennent cette thèse paradoxale auraient-ils voulu m’entendre vanter la paix dans la faiblesse, le déshonneur et l’humiliation ?

Très brièvement, l’Empereur me répond en ces termes : En vous remerciant de vos aimables paroles, je tiens à vous dire une fois de plus combien nous avons eu de plaisir à vous voir parmi nous. Rentré en France, vous voudrez bien apporter à votre beau pays l’expression de la fidèle amitié et de la cordiale sympathie de la Russie tout entière. L’action concertée de nos deux diplomaties