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RAYMOND POINCARÉ

et la confraternité qui existe entre nos armées de terre et de mer faciliteront la tâche de nos deux gouvernements, appelés à veiller sur les intérêts des peuples alliés, en s’inspirant de l’idéal de paix que se posent nos deux pays, conscients de leur force.

Après le dîner, l’Impératrice et les grandes-duchesses restent assises sur le pont, malheureusement tout humide des averses qu’il a reçues. L’amiral Le Bris conduit l’Empereur sur la passerelle, où je l’accompagne. M. Paléologue, M. Sazonoff, M. Isvolsky préparent ensemble, pour la presse, le communiqué d’usage. Ils nous montrent ensuite, à M. Viviani et à moi, un projet que M. Paléologue avait déjà jeté sur le papier pendant le dîner et qui est ainsi conçu : Les deux gouvernements ont constaté la parfaite concordance de leurs vues et de leurs intentions pour le maintien de l’équilibre européen, notamment dans la péninsule balkanique. M. Viviani et moi, nous trouvons que cette rédaction, où le mot de paix n’est pas prononcé, nous engagerait trop à suivre dans les Balkans la politique de la Russie. Nous faisons donc modifier le projet, de manière à réserver l’avenir, à souligner nos intentions pacifiques, et à sauvegarder davantage la liberté de notre action. Le texte que finalement nous communiquons à la presse est aussi bref que général : La visite que le Président de la République vient de faire à Sa Majesté l’Empereur de Russie a offert aux deux gouvernements amis et alliés l’occasion de constater la parfaite communauté de leurs vues sur les divers problèmes que le souci de la paix générale et de l’équilibre européen pose devant les Puissances, notamment en Orient. C’est après avoir donné ce dernier témoignage de notre esprit de modération et de notre volonté de paix que nous adressons nos adieux à nos hôtes. Nous échangeons longuement poignées de main, compliments et vœux. L’Empereur me répète qu’il se réjouit de venir en France l’an prochain ; il espère fermement que l’Impératrice sera assez bien portante pour l’accompagner. Des vedettes emportent la famille impériale et nos autres invités jusqu’au yacht Alexandria. De nombreuses embarcations, pavoisées et illuminées, sillonnent la rade autour de nous. Au moment où l’Alexandria lève l’ancre, la France et le Jean-Bart, eux-mêmes brillamment éclairés, saluent de vingt et un coups de canon.

L’impression que Nicolas II nous laissait, à M. Viviani et à moi, à l’heure où nous quittions la Russie, était donc très rassurante., C’était un allié fidèle. C’était un sincère ami de la paix.


Le moment même où je prenais congé de lui était celui que les gouvernements de Vienne et de Berlin avaient attendu pour agir. Avaient-ils craint jusque-là que ma présence auprès du Tsar et celle de M. Viviani auprès de M. Sazonoff ne nous permissent de nous concerter directement pour éteindre les premières flammes de l’incendie ? Toujours