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RAYMOND POINCARÉ

L’Allemagne était d’accord avec l’Autriche pour porter à mon voyage cet intérêt exceptionnel. Dès le 21 juillet, l’État-major général de la marine allemande, soigneusement renseigné par son attaché naval à Pétersbourg, avait fait savoir à M. de Jagow, secrétaire d’État, que mon départ de Cronstadt était fixé au 23, 10 heures du soir. Le même jour, M. de Jagow avait interrogé le comte de Pourtalès sur l’exactitude de ce renseignement et il s’était hâté de prévenir le gouvernement austro-hongrois, pour que l’ultimatum fût retardé : J’ai demandé au comte Pourtalès, disait-il, le programme de la visite de Poincaré. Il m’annonce que le Président partira de Cronstadt jeudi soir à 11 heures, c’est-à-dire à 9 heures et demie d’après l’heure de l’Europe centrale. Si la démarche est faite à Belgrade demain après-midi, à 5 heures, elle sera connue à Pétersbourg pendant la visite de Poincaré. À quoi M. de Tschirschky, ambassadeur d’Allemagne à Vienne, répondait le 23 : Le gouvernement impérial et royal vous remercie chaleureusement de votre information. Le baron Giesl (ministre d’Autriche à Belgrade) a été invité à retarder la remise d’une heure.

Ces documents autrichiens et allemands prouvent à l’évidence que l’Allemagne était tout aussi bien renseignée sur la date que sur la gravité de l’ultimatum et qu’elle s’est mise d’accord avec l’Autriche pour en reculer la remise. Dans quel dessein ? À en croire un télégramme de M. de Tschirschky, l’Autriche aurait simplement voulu éviter qu’avant mon départ on ne célébrât, en rade de Cronstadt, « dans l’excitation du Champagne », une fraternisation qui aurait pu influencer la conduite de la France et de la Russie. Pitoyable explication. La vérité est qu’on redoutait que le gouvernement français et le gouvernement russe, se trouvant en contact au moment où ils apprendraient l’ultimatum, ne fussent à même de concerter immédiatement une intervention amicale en faveur de la paix. On préférait qu’ils fussent séparés, obligés de communiquer de loin, avec des informations fragmentaires et souvent différentes ; et on espérait bien que, pendant mes trois escales aux pays Scandinaves, l’Autriche aurait le temps de donner à la Serbie une leçon magistrale.