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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

À huit heures du soir, M. Paléologue retourne au ministère russe des Affaires étrangères et rencontre le comte de Pourtalès, qui en sort le visage congestionné. L’ambassadeur de France recommande à M. Sazonoff le calme et la modération : « Épuisez, lui dit-il, tous les moyens d’accommodement. » Et il ajoute : « Puis-je certifier à mon gouvernement que vous n’avez ordonné encore aucune mesure militaire ? » M. Sazonoff répond, sans faire allusion à la décision prise l’après-midi, en vue d’autoriser la mobilisation des deux flottes et de quatre corps d’armée : « Aucune, je vous l’affirme. Nous avons seulement décidé de faire rentrer en secret les quatre-vingts millions de roubles que nous avons en dépôt dans les banques allemandes. » M. Paléologue insiste et recommande à M. Sazonoff une prudence extrême dans les avis qu’il émettra le lendemain en conseil sous la présidence de l’Empereur. « N’ayez aucune crainte, conclut M. Sazonoff. Vous connaissez, d’ailleurs, la sagesse de l’Empereur. »

Pendant que M. Sazonoff vante, non sans raison, la sagesse de son souverain, l’Empereur d’Allemagne continue sa croisière dans les eaux de Norvège et occupe ses loisirs à lire les télégrammes ou les rapports qui lui sont envoyés. Dans une dépêche du prince Lichnowsky en date du 22 juillet, il trouve cette phrase de sir Ed. Grey : Il est souhaitable que l’Autriche tienne compte de la dignité nationale de la Serbie. — La dignité nationale de la Serbie, écrit Guillaume, cela n’existe pas. La question ne regarde pas Grey. C’est l’affaire de S. M. François-Joseph. Gigantesque impudence britannique.

Le 24, nouvelle dépêche de Lichnowsky. La note autrichienne vient d’être communiquée à l’Angleterre. Sir Ed. Grey a dit à l’ambassadeur d’Allemagne qu’elle dépassait tout ce qu’il avait vu jusqu’alors et qu’un État qui accepterait de pareilles exigences cesserait de compter au nombre des États indépendants. — Ce serait très désirable, note Guillaume ii. Ce n’est pas un État au sens européen du mot. C’est une bande de brigands. Lichnowsky ajoute : Grey m’a dit qu’il serait prêt à intervenir pour faire prolonger le délai et pour rendre possible la recherche d’une solution. — Inutile, tranche Guillaume. Grey suggère enfin que, dans le cas d’une tension dangereuse, les quatre puissances non immédiatement intéressées, l’Angleterre, l’Allemagne, la France et l’Italie, s’efforcent de faire admettre une médiation entre la Russie et l’Autriche-Hongrie. — Inutile, répète Guillaume. Je ne puis rien, à moins que l’Autriche ne m’en prie instamment, ce qui est peu probable. Dans les questions d’honneur et d’intérêts vitaux, on ne consulte pas les autres.


Samedi matin, 12/25 juillet. — Ordre est donné, dès l’aube, de hisser