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RAYMOND POINCARÉ

le grand pavois. Une flotte suédoise est venue à notre rencontre. Nous entrons dans les passes de l’archipel que forme, en avant de Stockholm, une multitude d’îles verdoyantes. Vers neuf heures du matin, à Falsterbo, la France stoppe : son tirant d’eau l’empêche d’aller plus loin. Il me faut monter sur le Lavoisier, qui est beaucoup moins imposant et qui est arrivé d’Islande tout exprès pour assurer ce transbordement nécessaire. Six torpilleurs suédois viennent au-devant de nous.

Voici Stockholm qui s’élève devant nous sur sept îlots du lac Malare et qui se baigne les pieds là-bas dans une eau tranquille. Nous jetons l’ancre à quelque distance des quais. Le Roi vient au-devant de nous dans une embarcation à rames, qui date, paraît-il, de Gustave Vasa, mais qui a été récemment remise à neuf et dont la fraîche peinture blanche et bleue éteint déjà, sur ma poitrine, le grand cordon de l’ordre des Séraphins.

Gustave V monte à bord du Lavoisier, me souhaite la bienvenue dans son royaume et se félicite aimablement de me retrouver. Il me présente son frère et ses fils et m’emmène avec eux dans sa pimpante chaloupe, jusqu’au Tolbod, le débarcadère réservé aux réceptions officielles. Le maire de Stockholm s’avance vers moi et m’adresse, en un excellent français, une aimable allocution. Je le remercie en quelques mots. Le Roi m’invite à passer avec lui la revue de la garde d’honneur ; puis, entre deux haies de soldats immobiles, des landaus de gala nous conduisent rapidement au palais royal, qui se trouve à proximité du rivage.

Journée de fêtes ; journée d’attente et d’inquiétude. Suite de cérémonies joyeuses ; suite de télégrammes alarmants. Le 24 juillet, à 23 h. 20, M. Abel Ferry, sous-secrétaire d’État au ministère des Affaires étrangères, a envoyé à M. Viviani un message que nous trouvons à notre arrivée et qui est ainsi conçu : L’ambassadeur d’Allemagne a fait cette après-midi (vendredi 24) près de M. Bienvenu-Martin une démarche appuyant catégoriquement la note autrichienne. Il a donné lecture à M. Bienvenu-Martin d’une note allemande déclarant que le gouvernement allemand estime que la question actuelle est une affaire à régler entre l’Autriche et la Serbie. Il désire ardemment que le conflit soit localisé, toute intervention d’une autre puissance devant, par le jeu des alliances, provoquer des conséquences incalculables. Les dépêches de Londres et de Berlin sont pessimistes. Signé : Abel Ferry.

Cette démarche de M. de Schœn nous paraît, à M. Viviani, à M. de Margerie et à moi, extrêmement grave. En fait, l’Allemagne prend immédiatement position contre cette idée du concert européen qui, en 1912 et 1913, nous a plusieurs fois mis à l’abri d’une guerre générale. Elle entend laisser au « vaillant second, » toutes liberté de remontrance et de correction contre le petit royaume voisin.