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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

Animé d’un esprit bien différent, M. Paul Cambon a, au contraire, suggéré à sir Ed. Grey une rapide prise de contact avec Berlin. Le secrétaire d’État britannique, qui trouve tout à fait exorbitant l’ultimatum austro-hongrois, a volontiers consenti à prier l’Allemagne d’agir auprès de l’Autriche pour obtenir la prolongation du délai imparti à la Serbie. M. Paléologue télégraphie que, de son côté, le gouvernement russe a fait une démarche dans le même sens. L’Allemagne acceptera-t-elle, au moins, de se joindre à cet effort ? Rien ne semble moins probable. Mais, si elle refuse, elle prendra à son compte, devant le monde entier, les violences de l’Empire dualiste. Aussi bien, M. Viviani répond-il de Stockholm à M. Paul Cambon qu’il approuve entièrement son opinion et son langage.

De son côté, M. Jules Cambon télégraphie que M. de Jagow lui a dit : « Je ne connaissais pas la note autrichienne avant qu’elle fût remise, mais je l’approuve, et nous n’avons qu’une chose à faire : localiser le conflit. » C’est la thèse que M. de Schœn a reçu mandat de soutenir. Qui ne voit cependant que, si on laisse le conflit, même localisé, devenir sanglant, tout est à craindre pour le lendemain ?

On sait, d’ailleurs, qu’en disant qu’il n’avait pas connu la note autrichienne avant la remise M. de Jagow altérait la vérité. Dans son livre sur les origines de la guerre, il a reconnu que ce document lui avait été communiqué au plus tard le 22 à sept ou huit heures du soir. En admettant même que cette dernière version soit exacte, on ne peut s’empêcher de constater qu’il était encore facile, à ce moment, de télégraphier à Vienne, puisque les deux chancelleries impériales étaient d’accord pour ne pas faire la démarche à Belgrade avant le 23 à six heures du soir. Nous avons eu, du reste, depuis lors, l’aveu du sous-secrétaire d’État Zimmermann. Il écrivait le 11 août 1917 à von dem Bussche : « Cher Bussche, l’indication des Evening News est matériellement exacte, en ceci que nous avions, en effet, reçu l’ultimatum environ douze heures avant sa remise à la Serbie. Mais je n’ai gardé aucun souvenir d’en avoir dit un mot à un diplomate américain. On peut donc publier un démenti. » (En d’autres termes, on peut démentir un fait vrai, lorsqu’il n’est pas connu.) Et M. Zimmermann poursuit : « Mais, quant à l’opportunité de ce démenti, étant donné qu’il ne sera pas possible de celer indéfiniment que nous avons connu la pièce, c’est une autre question. » La cause est donc entendue ; et il est établi que, dans la conversation que nous apprenions à Stockholm, M. de Jagow avait trompé M. Jules Cambon.

Pendant les heures que nous passons ainsi en Suède, dans l’ignorance d’une grande partie de la vérité, les nouvelles se succèdent, assez con-