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RAYMOND POINCARÉ

sadeur d’Allemagne, nous dit M. Bienvenu-Martin, a tout particulièrement insisté sur ces deux dernières phrases. Le ministre intérimaire a fait remarquer à M. de Schœn qu’ « autant il paraîtrait légitime de demander la punition de tous les complices de l’attentat, autant il semble, au contraire, difficile d’exiger des mesures inacceptables pour la dignité et la souveraineté de la Serbie. Le gouvernement serbe, même s’il voulait s’y soumettre, risquerait d’être emporté par une révolution ».

M. Bienvenu-Martin complète ses nombreuses communications par une série de résumés télégraphiques des événements ou des entretiens qui sont parvenus à sa connaissance. Le comte Berchtold a dit au chargé d’affaires de Russie que le ministre d’Autriche à Belgrade avait ordre de quitter la ville, s’il ne lui était pas donné, le samedi à six heures, une adhésion pure et simple. M. de Jagow a continué d’affirmer à M. Jules Cambon que le gouvernement allemand avait ignoré la teneur de la note jusqu’à la remise. M. Paul Cambon a suggéré à sir Ed. Grey l’idée de provoquer, d’accord avec l’Allemagne, une médiation des quatre Puissances, non intéressées entre l’Autriche et la Serbie. Le secrétaire d’État britannique s’est montré disposé à s’entretenir de ce projet avec l’ambassadeur d’Allemagne. M. Sazonoff a dit à M. Paléologue qu’il était d’avis de laisser l’Autriche se mettre complètement dans son tort. Il a ajouté : « J’estime même que, si le gouvernement austro-hongrois passe à l’action, la Serbie devra se laisser envahir sans combattre et dénoncer l’infamie de l’Autriche au monde civilisé. »

Tandis que nous arrivent en vrac toutes ces nouvelles fragmentaires, l’empereur d’Allemagne rentre fébrilement en Allemagne. Il fait mieux. Il donne de sa propre autorité à la flotte allemande l’ordre de rejoindre le canal de Kiel. Le chancelier de Bethmann-Hollweg lui télégraphie que la flotte britannique, récemment réunie pour des manœuvres navales, est en train de se disloquer, que sir Ed. Grey, tout au moins provisoirement, ne pense pas à une participation directe de l’Angleterre à une guerre européenne, et qu’il est dès lors préférable de ne pas prescrire un retour prématuré de la flotte allemande. Aussitôt, Guillaume, pris d’une nouvelle crise de colère, annote le télégramme en termes outrageants pour le chancelier civil. Il souligne le mot civil d’un trait méprisant et il écrit : La mobilisation à Belgrade peut entraîner la mobilisation russe, qui aura pour conséquence celle de l’Autriche. Dans ce cas, il faut que je concentre mes forces sur terre et sur mer. C’est ce que le chancelier civil n’a pas encore pu comprendre ! Aimable régime où le caprice d’un homme, et de quel homme ! peut avoir raison de tous les conseils de prudence !

M. Viviani et moi, nous ignorons ce petit conflit entre Bethmann-Hollweg et Guillaume II, mais, après avoir lu et relu tous les télé-