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RAYMOND POINCARÉ

nationalités slaves qui ont été soumises à l’Empire. Alors même que les faits allégués dans l’annexe de la note seraient exacts, alors même qu’un véritable complot contre la vie de l’archiduc aurait été formé à Belgrade par Gravillo Prinzip et par Nedeljko Kabrinovitch avec le concours du commandant serbe Voija Tankositch, alors même que six bombes et quatre pistolets browning avec munitions auraient été livrés aux meurtriers par cet officier et que les bombes proviendraient d’un dépôt d’armes de l’armée serbe, la complicité de quelques particuliers n’engagerait pas la responsabilité du gouvernement, ni surtout celle du peuple serbe. Comment s’expliquer dès lors le ton de la note et les exigences qui y sont présentées : injonction au gouvernement serbe de publier au Journal officiel de Belgrade un solennel désaveu des coupables, dicté par l’Autriche elle-même, injonction au vieux roi Pierre d’adresser un ordre du jour à l’armée, injonction de supprimer les publications, de dissoudre les sociétés, de révoquer les officiers et les fonctionnaires dont les noms seraient communiqués par le gouvernement autrichien, injonction d’accepter la collaboration de fonctionnaires autrichiens pour surveiller en Serbie l’enquête sur l’attentat et pour mettre fin à l’action subversive signalée ?

M. Viviani et moi, nous en revenons toujours à la même question ; que veut l’Autriche ? que veut l’Allemagne ? Nous comprendrions mieux leurs intentions communes, si nous n’étions pas isolés au milieu des eaux et si nous avions toutes les pièces en main.

M. Jules Cambon voyait, en réalité, très juste, lorsque, dans une dépêche du 24 juillet que je devais connaître après mon retour à Paris, il écrivait : Sous prétexte de venger un mort, l’Autriche veut faire revivre tous ses vieux griefs et réparer, s’il se peut, les fautes qu’elle a commises depuis l’annexion de la Bosnie… L’Allemagne appuie d’une façon singulièrement énergique l’attitude de l’Autriche. La faiblesse, manifestée depuis quelques années par l’alliée austro-hongroise, affaiblissait la confiance que l’on avait en elle. On la trouvait lourde à traîner. Les mauvais procès, comme l’affaire d’Agram et l’affaire Friedjung, rendaient la police odieuse en la couvrant de ridicule. On ne lui demandait que d’être forte : on est satisfait qu’elle soit brutale. Un article paru dans le Lokal Anzeiger de ce soir indique aussi dans la chancellerie allemande un état d’esprit dont à Paris nous sommes naturellement portés à ne pas tenir assez de compte. Je veux parler du sentiment de la solidarité monarchique. Je suis convaincu que ce point de vue doit être grandement considéré pour juger de l’attitude de l’empereur Guillaume, dont la nature impressionnable a dû être sensible à l’assassinat d’un prince qui l’avait reçu quelques jours auparavant.

La solidarité allemande cherche, en effet, toutes les occasions de s’affirmer. À la Chambre bavaroise, le ministre des voies et communica-