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RAYMOND POINCARÉ

lier impérial. À l’heure où il écrit, il sait, par le télégramme de Tschirschky, parvenu à Berlin à 16 h. 30, que le comte Berchtold va expédier la déclaration de guerre à la Serbie ; il sait que la proposition anglaise a été subordonnée par sir Ed. Grey à la condition essentielle que l’Autriche s’abstiendrait de toute opération militaire ; et cependant il ne renonce pas à son idée obstinée de ne pas intervenir entre l’Autriche et la Serbie ; et il ne fait pas un geste, il ne dit pas un mot, pour arrêter le premier coup de canon.

Bien mieux, à la fin de la journée du 27, M. de Jagow reçoit à la Wilhelmstrasse l’ambassadeur d’Autriche-Hongrie à Berlin, le comte Szogyéni, et il lui tient confidentiellement un langage qui n’est pas fait pour assagir l’Autriche. L’Allemagne, dit-il en résumé, est prête à porter prochainement à la connaissance de l’Autriche des propositions anglaises de conciliation. Le gouvernement de Berlin ne les prend pas à son compte, il ne les transmet que pour accéder au désir de l’Angleterre, et il espère bien qu’elles ne seront pas accueillies.

Aussi bien, l’Autriche ne s’y trompe-t-elle pas. Elle connaît, non seulement par le télégramme de Szogyéni, mais par les conversations de Tschirschky, les véritables intentions du gouvernement allemand. Elle attend, pour répondre à Berlin, l’après-midi du 28 et elle se borne alors à prendre acte de la démarche et à réserver sa décision. Mais, dès maintenant, elle déclare que la suggestion anglaise s’est produite trop tard. Et, sur la foi d’une nouvelle fausse, qui annonçait une violation de frontière par les Serbes, le comte Berchtold ajoute froidement : « La guerre est déclarée, après l’ouverture des hostilités par la Serbie. » Sur quoi, il attend le lendemain 29, pour répondre à l’ambassadeur d’Allemagne qu’il regrette de ne pouvoir adhérer à la proposition britannique et pour dire crûment à l’ambassadeur d’Angleterre qu’il ne saurait admettre « aucune discussion sur la base de la note serbe », que la guerre entre l’Autriche et la Serbie est « inévitable », et que la question sera réglée « directement entre les deux parties immédiatement intéressées ». Avec un peu plus de hâte et d’insistance, le chancelier d’Allemagne eût peut-être obtenu mieux.

Mais, à défaut de M. de Bethmann-Hollweg, quelque autre personnage en Allemagne a-t-il cherché à conjurer la catastrophe ? On l’a prétendu et c’est à Guillaume II lui-même qu’on a voulu attribuer cette heureuse velléité. Dans la soirée du 27, la Wilhelmstrasse avait envoyé au cabinet impérial une copie complète de la note serbe, en même temps que le premier télégramme du prince Lichnowsky. Le 28, à cinq heures du matin, le cabinet impérial avait également reçu le second télégramme de l’ambassadeur à Londres. L’Empereur prend connaissance de ces