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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

pièces au commencement de la matinée, et, tout à coup, il est illuminé par un de ces éclairs de raison qui traversaient parfois son cerveau de mégalomane. La réponse serbe ! « C’est un brillant résultat pour un délai de quarante-huit heures seulement ! C’est plus qu’on ne pouvait attendre. Un grand succès moral pour Vienne ; mais il fait disparaître toute raison de guerre, et Giesl aurait dû rester tranquille à Belgrade. Après cela, je n’aurais jamais ordonné la mobilisation. » Et à peine a-t-il ainsi exprimé une opinion qui devrait définitivement condamner aux yeux du monde l’Autriche, qui vient d’annoncer la guerre, et le gouvernement allemand lui-même, qui n’a pas cherché à retenir son alliée, il écrit à Jagow : Je suis convaincu que, dans l’ensemble, les désirs de la monarchie du Danube sont accomplis. Les quelques réserves que la Serbie fait sur certains points peuvent, à mon avis, être réglées par des négociations. Mais la capitulation la plus humble est annoncée urbi et orbi et par là tout motif de guerre disparaît. Jusque-là, c’est le bon sens qui parle, mais voici la démence : malgré cette capitulation, Guillaume II veut encore que l’Autriche ait une satisfaction d’honneur plus éclatante ; il veut aussi qu’elle prenne des gages : Les Serbes sont des Orientaux et, par conséquent, menteurs, faux et maîtres consommés dans l’emploi des moyens dilatoires. Pour que ces belles promesses deviennent une vérité et une réalité, il faut exercer une « douce violence » (ces mots « douce violence » en français dans le texte). On pourrait donc occuper Belgrade comme garantie ; moyennant quoi, dit l’Empereur, je suis prêt à servir de médiateur de la paix en Autriche ; je rejetterai toutes propositions ou protestations d’autres États en sens opposé… Je le ferai à ma manière, et en ménageant autant que possible le sentiment national de l’Autriche et l’honneur de son armée, car son chef suprême a déjà fait appel à elle et elle doit obéir à cet appel. Dans ces conditions, elle doit sans contredit avoir une « satisfaction d’honneur » (en français dans le texte) apparente ; c’est la condition sine qua non de ma médiation. Je, je, je… Ich, ich, ich y a-t-il rien de plus haïssable que ce moi, en des heures où est menacée la vie de tant d’êtres humains ?

Le moi de Guillaume II nous éloigne, d’ailleurs, sensiblement de la proposition de sir Ed. Grey. Celle-ci écartait fermement toute opération militaire. Celui-là réclame l’occupation d’un territoire serbe. Il n’importe. Après avoir reçu les ordres un peu incohérents de son empereur, M. de Jagow va s’entendre avec le chancelier pour les traduire dans des instructions qu’on enverra à l’ambassadeur Tschirschky. Avant d’avoir rédigé ce télégramme, M. de Bethmann-Hollweg reçoit du prince Lichnowsky des renseignements imprévus. L’ambassadeur d’Autriche à Londres, comte de Mensdorff, a confidentiellement communiqué à son collègue allemand les décisions secrètes prises, le 19 juillet précédent, par le conseil des ministres austro-hongrois. Le cabinet de Vienne, qui