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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

de sécurité sur les chemins de fer, rappel des permissionnaires, rapatriement d’une partie des troupes algériennes et marocaines, surveillance de la frontière. Ce sont là, en effet, les mesures que m’a indiquées, à mon arrivée, le ministre de la Guerre. Il m’attend à la gare du Nord, avec tous les membres du cabinet. Avant notre sortie sur la place, il me dit : « Monsieur le Président, vous allez voir Paris ; c’est splendide. »

C’est splendide, en effet. Par suite de je ne sais quel malentendu, on avait confondu l’heure de mon retour avec celle de mon débarquement à Dunkerque. On avait annoncé que je devais rentrer à Paris vers huit heures du matin. Dès l’aube, la foule s’était portée aux abords de la gare. Elle était restée là patiemment jusqu’à l’arrivée du train. Les préfets, les représentants du conseil municipal, des sénateurs, des députés, M. Maurice Barrès et une délégation de la Ligue des Patriotes, des hommes de tous âges et de toutes opinions sont là, qui m’attendent. À ma sortie, je suis accueilli par une manifestation grandiose, qui me remue jusqu’aux moelles. Beaucoup de personnes ont les larmes aux yeux et j’ai peine à refouler les miennes. De milliers de poitrines s’échappent les cris répétés de : « Vive la France ! Vive la République ! Vive le Président ! »

Je monte dans un landau, qu’encadre un peloton de cuirassiers. De la gare à l’Élysée, c’est une acclamation continue. Place de l’Opéra, la foule s’entasse sur les trottoirs, sur le terre-plein, sur les marches du théâtre, aux fenêtres et aux balcons. Jamais je n’ai rien éprouvé de si poignant. Jamais je ne me suis senti aussi bouleversé. Jamais je n’ai eu plus de mal, moralement et physiquement, à tâcher de demeurer impassible. De la grandeur, de la simplicité, de l’enthousiasme, de la gravité, tout contribue à faire de cet accueil quelque chose d’imprévu, d’inimaginable et d’infiniment beau. Voilà la France unie. Voilà les querelles politiques oubliées. Voilà le cœur du pays qui se révèle dans sa généreuse réalité. La Cour d’assises a prononcé hier l’acquittement de Mme Caillaux, après plusieurs jours de débats mouvementés. Que cette affaire est déjà loin ! Et comme maintenant l’attention publique est ailleurs ! Pour que les Français apprennent à s’aimer, faut-il donc qu’ils sentent sur eux la menace du malheur ?

Je retrouve l’Élysée désert. Mme Poincaré, qui est partie pour la Meuse avec mon frère et ma belle-sœur, achève là-bas les préparatifs de notre installation d’été. Elle a emmené avec elle notre fidèle siamois et notre mignonne petite chienne bruxelloise. Elle pensait que j’irais la rejoindre à mon retour et que nous passerions ensemble, sur la modeste colline du Clos, devant notre paisible vallée, quelques heures de repos. Dès qu’elle a su que je rentrais précipitamment à Paris, elle a décidé