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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

bassadeur d’Allemagne a dû transmettre immédiatement à Berlin la demande de sir Ed. Grey… Mon collègue d’Allemagne ayant interrogé sir Ed. Grey sur les intentions du gouvernement britannique en cas de conflit, le secrétaire d’État aux Affaires étrangères a répondu qu’il n’avait pas à se prononcer quant à présent. J’ai posé la même question à sir Ed. Grey et je résume sa réponse : « La situation actuelle n’a pas d’analogie avec celle qui s’est produite à l’occasion du Maroc. Là, il s’agissait des intérêts de la France avec qui nous avions des engagements. Ici, il s’agit de la suprématie de l’Autriche ou de la Russie sur les populations slaves des Balkans. Que l’une ou l’autre de ces Puissances obtienne la prééminence, peu nous importe, et, si le conflit reste limité entre l’Autriche et la Serbie ou la Russie, nous n’avons pas à nous en mêler. Il n’en serait pas de même si l’Allemagne entrait en jeu pour soutenir l’Autriche contre la Russie et si éventuellement la France se trouvait entraînée dans le conflit. Alors, ce serait une question intéressant l’équilibre européen, et l’Angleterre devrait examiner si elle doit intervenir. À tout événement, nous prenons secrètement quelques dispositions militaires. Je m’exprimerai d’ailleurs dans ce sens, lorsque le prince Lichnowsky m’apportera la réponse de Berlin à ma demande d’aujourd’hui. » J’ajoute que sir Ed. Grey ne m’a pas caché qu’il trouvait la situation très grave et qu’il avait peu d’espoir dans une solution pacifique. Signé : Paul Cambon.

Ainsi, Grey lui-même n’a plus grand espoir dans une issue favorable et l’Angleterre en est encore à se demander si elle interviendra dans une guerre généralisée.

Je lis et relis ces télégrammes et plus je cherche à découvrir une lueur dans ces ténèbres, plus l’obscurité me semble épaisse. Ce n’est pas sans doute demain que ma femme et moi, nous pourrons reprendre ensemble le chemin discret de notre cher Sampigny. Ce n’est pas demain que là-bas, dans la claire maison meusienne, où nous étions si joyeux naguère de passer les vacances avec nos vieux parents, nous retrouverons pour quelques jours le bonheur champêtre, en face du paisible bois d’Ailly et du fort silencieux qui couronne d’inoffensives batteries la colline gazonnée du camp des Romains.

Je serais sans doute encore plus préoccupé de l’avenir si je pouvais deviner le drame qui commence à se dérouler au delà de nos frontières. C’est aujourd’hui que le général de Moltke a remis à M. de Bethmann-Hollweg un mémoire où il expose, d’avance, la suite fatale des événements qui se préparent : mobilisation partielle russe, mobilisation générale autrichienne, mobilisation allemande, mobilisation française. C’est aujourd’hui également que le chancelier d’Allemagne a reçu de l’ambassadeur de Szogyéni une note pressante de l’État-major autrichien. Il y est demandé qu’aussitôt que la Russie aura mobilisé les quatre districts voisins de la frontière austro-hongroise l’Allemagne elle-même