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cient a été plus fructueux parce qu’il a été interrompu et que le repos a rendu à l’esprit sa force et sa fraîcheur. Mais il est plus probable que ce repos à été rempli par un travail inconscient, et que le résultat de ce travail s’est révélé ensuite au géomètre, tout à fait comme dans les cas que j’ai cités ; seulement la révélation, au lieu de se faire jour pendant une promenade ou un voyage, s’est produite pendant une période de travail conscient, mais indépendamment de ce travail qui joue tout au plus un rôle de déclenchement ; comme s’il était l’aiguillon qui aurait excité les résultats déjà acquis pendant le repos mais restés inconscients à revêtir la forme consciente.

Il y a une autre remarque à faire au sujet des conditions de ce travail inconscient ; c’est qu’il n’est possible et en tout cas qu’il n’est fécond que s’il est d’une part précédé, et d’autre part suivi d’une période de travail conscient. Jamais (et les exemples que je vous ai cités le prouvent déjà suffisamment) ces inspirations subites ne se produisent qu’après quelques jours d’efforts volontaires, qui ont paru absolument infructueux et où l’on a cru ne rien faire de bon, où il semble qu’on a fait totalement fausse route. Ces efforts n’ont donc pas été aussi stériles qu’on le pense, ils ont mis en branle la machine inconsciente et sans eux elle n’aurait pas marché et elle n’aurait rien produit.

La nécessité de la seconde période de travail conscient, après l’inspiration, se comprend mieux encore. Il faut mettre en œuvre les résultats de cette inspiration, en déduire les conséquences immédiates, les ordonner, rédiger les démonstrations. Mais surtout il faut les vérifier. Je vous ai parlé du sentiment de certitude absolue qui accompagne l’inspiration ; dans les cas cités, ce sentiment n’était pas trompeur, et le plus souvent il en est ainsi ; mais il faut se garder de croire que ce soit une règle sans exception ; souvent ce sentiment nous trompe sans pour cela être moins vif et on ne s’en aperçoit que quand on cherche à mettre la démonstration sur pied. J’ai observé surtout le fait pour les idées qui me sont venues le matin ou le soir dans mon lit, dans un état semi-hypnagogique.

Tels sont les faits, et voici maintenant les réflexions qu’ils nous imposent. Le moi inconscient, ou comme on dit le moi subliminal joue un rôle capital dans l’invention mathématique, cela résulte de tout ce qui précède. Mais on considère