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Page:Poincaré - L’Invention mathématique, 1908.djvu/5

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L’INVENTION MATHÉMATIQUE

La genèse de l’Invention mathématique est un problème qui doit inspirer le plus vif intérêt au psychologue. C’est l’acte dans lequel l’esprit humain semble le moins emprunter au monde extérieur, où il n’agit ou ne paraît agir que par lui-même et sur lui-même, de sorte, qu’en étudiant le processus de la pensée géométrique, c’est ce qu’il y a de plus essentiel dans l’esprit humain que nous pouvons espérer atteindre.

On l’a compris depuis longtemps, et il y a quelques mois une revue intitulée L’Enseignement Mathématique et dirigée par MM. Laisant et Fehr a entrepris une enquête sur les habitudes d’esprit et les méthodes de travail des différents mathématiciens. J’avais arrêté les principaux traits de ma conférence, quand les résultats de cette enquête ont été publiés ; je n’ai donc guère pu les utiliser, je me bornerai à dire que la majorité des témoignages confirment mes conclusions ; je ne dis pas l’unanimité, car quand on consulte le suffrage universel, on ne peut se flatter de réunir l’unanimité.

Un premier fait doit nous étonner, ou plutôt devrait nous étonner, si nous n’y étions si habitués. Comment se fait-il qu’il y ait des gens qui ne comprennent pas les mathématiques ? Si les mathématiques n’invoquent que les règles de la logique, celles qui sont acceptées par tous les esprits bien faits ; si leur évidence est fondée sur des principes qui sont communs à tous les hommes et que nul ne saurait nier sans être fou, comment se fait-il qu’il y ait tant de personnes qui y soient totalement réfractaires ?

Que tout le monde ne soit pas capable d’invention, cela n’a rien de mystérieux. Que tout le monde ne puisse retenir une démonstration qu’il a apprise autrefois, passe encore. Mais que tout le monde ne puisse pas comprendre un raison-