Aller au contenu

Page:Poincaré - L’Invention mathématique, 1908.djvu/6

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 4 —

nement mathématique au moment où on le lui expose, voilà qui paraît bien surprenant quand on y réfléchit. Et pourtant ceux qui ne peuvent suivre ce raisonnement qu’avec peine sont en majorité ; cela est incontestable et l’expérience des maîtres de l’enseignement secondaire ne me contredira certes pas.

Et il y a plus ; comment l’erreur est-elle possible en mathématiques ? Une intelligence saine ne doit pas commettre de faute de logique, et cependant il y a des esprits très fins, qui ne broncheront pas dans un raisonnement court tel que ceux que l’on a à faire dans les actes ordinaires de la vie, et qui sont incapables de suivre ou de répéter sans erreur les démonstrations des mathématiques qui sont plus longues, mais qui ne sont après tout qu’une accumulation de petits raisonnements tout à fait analogues à ceux qu’ils font si facilement. Est-il nécessaire d’ajouter que les bons mathématiciens eux-mêmes ne sont pas infaillibles ?

La réponse me semble s’imposer. Imaginons une longue série de syllogismes, et que les conclusions des premiers servent de prémisses aux suivants ; nous serons capables de saisir chacun de ces syllogismes, et ce n’est pas dans le passage des prémisses à la conclusion que nous risquons de nous tromper. Mais entre le moment où nous rencontrons pour la première fois une proposition, comme conclusion d’un syllogisme, et celui où nous la retrouvons comme prémisse d’un autre syllogisme, il se sera écoulé parfois beaucoup de temps, on aura déroulé de nombreux anneaux de la chaîne ; il peut donc arriver qu’on l’ait oubliée, ou ce qui est plus grave, qu’on en ait oublié le sens. Il peut donc se faire qu’on la remplace par une proposition un peu différente, ou que tout en conservant le même énoncé, on lui attribue un sens un peu différent, et c’est ainsi qu’on est exposé à l’erreur.

Souvent le mathématicien doit se servir d’une règle ; naturellement il a commencé par démontrer cette règle ; et au moment où cette démonstration était toute fraîche dans son souvenir il en comprenait parfaitement le sens et la portée, et il ne risquait pas de l’altérer. Mais ensuite il l’a confiée à sa mémoire et il ne l’applique plus que d’une façon mécanique ; et alors si la mémoire lui fait défaut, il peut l’appliquer tout de travers. C’est ainsi, pour prendre un exemple simple et presque vulgaire, que nous faisons quelquefois des