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LA VALEUR DE LA SCIENCE

ne se pénètrent pas. L’une nous montre à quel but nous devons viser, l’autre, le but étant donné, nous fait connaître les moyens de l’atteindre. Elles ne peuvent donc jamais se contrarier puisqu’elles ne peuvent se rencontrer. Il ne peut pas y avoir de science immorale, pas plus qu’il ne peut y avoir de morale scientifique.

Mais si l’on a peur de la science, c’est surtout parce qu’elle ne peut nous donner le bonheur. Évidemment non, elle ne peut pas nous le donner, et l’on peut se demander si la bête ne souffre pas moins que l’homme. Mais pouvons-nous regretter ce paradis terrestre où l’homme, semblable à la brute, était vraiment immortel puisqu’il ne savait pas qu’on doit mourir ? Quand on a goûté à la pomme, aucune souffrance ne peut en faire oublier la saveur, et on y revient toujours. Pourrait-on faire autrement ? Autant demander si celui qui a vu, peut devenir aveugle et ne pas sentir la nostalgie de la lumière. Aussi l’homme ne peut être heureux par la science, mais aujourd’hui il peut bien moins encore être heureux sans elle.

Mais si la vérité est le seul but qui mérite d’être poursuivi, pouvons-nous espérer l’atteindre ? Voilà de quoi il est permis de douter. Les lecteurs de mon petit livre sur la Science et l’Hypothèse savent