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LA VALEUR DE LA SCIENCE

L’ordre dans lequel nous rangeons les phénomènes conscients ne comporte aucun arbitraire. Il nous est imposé et nous n’y pouvons rien changer.

Je n’ai qu’une observation à ajouter. Pour qu’un ensemble de sensations soit devenu un souvenir susceptible d’être classé dans le temps, il faut qu’il ait cessé d’être actuel, que nous ayons perdu le sens de son infinie complexité, sans quoi il serait resté actuel. Il faut qu’il ait pour ainsi dire cristallisé autour d’un centre d’associations d’idées qui sera comme une sorte d’étiquette. Ce n’est que quand ils auront ainsi perdu toute vie que nous pourrons classer nos souvenirs dans le temps, comme un botaniste range dans son herbier les fleurs desséchées.

Mais ces étiquettes ne peuvent être qu’en nombre fini. À ce compte, le temps psychologique serait discontinu. D’où vient ce sentiment qu’entre deux instants quelconques il y a d’autres instants ? Nous classons nos souvenirs dans le temps, mais nous savons qu’il reste des cases vides. Comment cela se pourrait-il si le temps n’était une forme préexistant dans notre esprit ? Comment saurions-nous qu’il y a des cases vides, si ces cases ne nous étaient révélées que par leur contenu ?