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hypothèses cosmogoniques

même sens. Ce ne peut être l’effet du hasard ; on pourrait supposer qu’une intelligence infinie a établi cet ordre au début une fois pour toutes et pour toujours, et tout le monde se serait contenté autrefois de cette explication ; aujourd’hui on ne se satisfait plus à si bon marché ; certes il y a encore bien des gens qui tiennent un Dieu créateur pour une hypothèse nécessaire, mais ils ne conçoivent plus l’intervention divine comme le faisaient leurs devanciers ; leur Dieu est moins architecte et plus mécanicien ; et il reste alors à expliquer par quel mécanisme il a tiré l’ordre du chaos. Si l’ordre que nous constatons n’est pas dû au hasard, et si on renonce à l’attribuer à quelque décret divin immédiatement exécutoire, il faut qu’il ait succédé au chaos, il faut donc que les astres aient changé. Et c’est bien ainsi qu’a raisonné Laplace.

D’autre part, le second principe de la Thermodynamique, le principe de Carnot, nous apprend que le Monde tend vers un état final ; l’énergie « se dissipe », c’est-à-dire que le frottement tend constamment à transformer le mouvement en chaleur et que la température tend partout à s’uniformiser. L’état final du Monde est donc un état d’uniformité ; cet état, qu’il doit atteindre, n’est pas atteint encore ; donc le monde change et même il a toujours changé.

Et voilà le champ ouvert aux hypothèses ; la plus vieille est celle de Laplace ; mais sa vieillesse est vigoureuse, et, pour son âge, elle n’a pas trop de rides. Malgré les objections qu’on lui a opposées, malgré les découvertes que les astronomes ont faites et qui auraient bien étonné Laplace, elle est toujours debout, et c’est encore elle qui rend le mieux compte de bien des faits ; c’est elle qui répond le mieux à la question que s’était posée son auteur. Pourquoi l’ordre règne-t-il dans le système solaire, si cet ordre n’est pas dû au hasard ? De temps en temps une brèche s’ouvrait dans le vieil édifice ; mais elle était promptement réparée et l’édifice ne tombait pas.

On sait en quoi consiste cette hypothèse. Le système solaire est sorti d’une nébuleuse qui s’étendait autrefois au delà de l’orbite de Neptune ; cette nébuleuse était animée d’un mouvement de rotation