Page:Poincaré - Science et méthode (Édition définitive).djvu/123

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ce temps les habitants de l’univers B auront construit une science, et comme leur monde est l’image du nôtre, leur géométrie sera aussi l’image de la nôtre ou, pour mieux dire, ce sera la même. Mais si un jour une fenêtre nous est ouverte sur l’univers B, nous les prendrons en pitié : « Les malheureux, dirons-nous, ils croient avoir fait une géométrie, mais ce qu’ils appellent ainsi n’est qu’une image grotesque de la nôtre ; leurs droites sont toutes tordues, leurs cercles sont bossus, leurs sphères ont de capricieuses inégalités ». Et nous ne nous douterons pas qu’ils en disent autant de nous, et qu’on ne saura jamais qui a raison.

On voit dans quel sens large doit être entendue la relativité de l’espace ; l’espace est en réalité amorphe et les choses qui sont dedans lui donnent seules une forme. Que doit-on penser alors de cette intuition directe que nous aurions de la droite ou de la distance ? Nous avons si peu l’intuition de la distance en soi que, dans une nuit, nous l’avons dit, une distance pourrait devenir mille fois plus grande sans que nous puissions nous en apercevoir, si toutes les autres distances avaient subi la même altération. Et même en une nuit l’univers B pourrait s’être substitué à l’univers A sans que nous eussions aucun moyen de le savoir, et alors les lignes droites d’hier auraient cessé d’être droites et nous ne nous apercevrions de rien.

Une partie de l’espace n’est pas par elle-même et