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Page:Poincaré - Science et méthode (Édition définitive).djvu/26

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l’homme que chez l’abeille ou la fourmi. Il faut donc penser pour ceux qui n’aiment pas à penser et, comme ils sont nombreux, il faut que chacune de nos pensées soit aussi souvent utile que possible, et c’est pourquoi une loi sera d’autant plus précieuse qu’elle sera plus générale.

Cela nous montre comment doit se faire notre choix ; les faits les plus intéressants sont ceux qui peuvent servir plusieurs fois ; ce sont ceux qui ont chance de se renouveler. Nous avons eu le bonheur de naître dans un monde où il y en a. Supposons qu’au lieu de 60 éléments chimiques, nous en ayons 60 milliards, qu’ils ne soient pas les uns communs et les autres rares, mais qu’ils soient répartis uniformément. Alors, toutes les fois que nous ramasserions un nouveau caillou, il y aurait une grande probabilité pour qu’il soit formé de quelque substance inconnue ; tout ce que nous saurions des autres cailloux ne vaudrait rien pour lui ; devant chaque objet nouveau nous serions comme l’enfant qui vient de naître ; comme lui nous ne pourrions qu’obéir à nos caprices ou à nos besoins ; dans un pareil monde, il n’y aurait pas de science ; peut-être la pensée et même la vie y seraient-elles impossibles, puisque l’évolution n’aurait pu y développer les instincts conservateurs. Grâce à Dieu, il n’en est pas ainsi ; comme tous les bonheurs auxquels on est accoutumé, celui-là n’est pas apprécié à sa valeur. Le biologiste serait tout aussi embarrassé