Page:Poincaré - Sciences et Humanités, 1911.djvu/13

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habitude pour les saisir du premier coup sans hésitation et sans effort.

L’enfant comprend les phrases en bloc pour ainsi dire, et si on le laissait faire il les écrirait toutes en un seul mot. Chaque mot est comme un centre d’associations d’idées, comme un fanal qui éclaire tout un canton de la conscience ; les divers mots d’une même phrase luisent en même temps ; leur lumière se mêle ; les champs qu’ils éclairent empiètent l’un sur l’autre, sans que l’on puisse dire duquel de tous ces phares tel ou tel point tire le plus de lumière.

C’est là comprendre comme voit le myope à qui les divers points de l’objet apparaissent comme des taches débordant les unes sur les autres, et pareilles à celles que l’on admire dans certains tableaux modernes.

C’est cette sorte d’illumination continue qu’on appelle d’ordinaire l’intelligence d’une phrase. Beaucoup d’hommes, même adultes, n’en demandent pas davantage ; les plus raffinés d’entre nous s’en contentent même neuf fois sur dix ; cette façon de comprendre le français suffit en effet pour les usages ordinaires de la vie. Chaque phrase nous suggère, par le simple jeu