Aller au contenu

Page:Poirier - Les arpents de neige, 1909.djvu/107

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
92
les arpents de neige

lement, masqué par la muraille en planches, il se glissa sans bruit jusqu’au coin de la maison et prêta l’oreille.

Le personnage qui répondait au sobriquet de Pitre-le-Loucheux[1] apparaissait dans le carré de lumière comme un Indien d’âge indéfinissable, petit, maigre, boucané et de face chafouine. Mais c’était un homme connu dans Batoche, où il résidait, pour sa subtilité et son étonnante adresse.

Bien que le jeune Métis et lui conversassent presque à mi-voix en langue crise, le silence ambiant et la finesse de son ouïe permirent à l’écouteur de ne pas perdre une seule de leurs paroles.

— Tout ce que je te demande, disait Jean La Ronde, c’est d’aller de suite chez moi et de dire au père qui est assis au foyer : « Père, votre second fils ne rentrera pas ici cette nuit, car il vient d’être désigné avec d’autres par les chefs pour battre les bois. Vous ne reverrez pas sa face avant demain. » As-tu compris ?

— J’ai compris cela, mais non pas encore où allait mon frère.

— Que t’importe ! cette chose est mon affaire.

L’Indien secoua son épaisse crinière d’un air mal convaincu.

— Il m’importe beaucoup. Ta tête est jeune et tu n’as pas réfléchi. Si quelqu’un s’aperçoit du mensonge, que ne dira-t-on pas ? On te prêtera de mauvais desseins et on dira : le Loucheux était son complice.

  1. Pierre-le-Louche.