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ix
préface

« — L’amnistie ?… Il est trop tard ! Pourquoi accorder l’amnistie à cette heure ? Il fallait l’accorder avant…

« Pauvre enfant ! Ils ont voulu m’empêcher de le voir, dans sa prison… Moi, sa mère !…

« J’aime le bon Dieu. Mais, je vous le dis, parfois il n’est pas possible de ne pas s’irriter…

« Ils ont voulu m’emmener au Canada[1]. Mais non. Mon père et ma mère étaient parmi les grands ; mais moi, j’ai vécu parmi les petits. Il faut y rester. Quand on souffre comme ça, il n’y a pas de coin assez petit pour se cacher…

« L’autre jour, j’ai vu sous les arbres une tombe et une bannière ; le vent battait au nord-ouest sur la bannière et le cercueil…

« Dans sa prison, il y avait une petite allée, où il marchait, en songeant, comme ici ; il me dit : « Là-bas, je durcissais la terre avec mes pieds, ici, ce sont mes « chaînes » ; et il traînait son boulet et ses chaînes.

« Mon enfant, ils ont tué mon enfant ! C’est la plus grande injustice. Je regarde ça comme le plus grand malheur du pays. Ma peine est une peine publique. Il avait fait plus de bien au pays que n’importe qui. Il était innocent, j’en fais le serment ! Ma conscience me le dit… J’ai la vérité !…

« On dit que je suis folle. Il y en a qui nous méprisent. Ah ! le mépris, c’est le pire de tout !… Ils ont méprisé mon enfant !

« Dans la prison, ses enfants lui disaient : « Viens-t’en ! papa, viens-t’en ! » Moi, je lui cachais ma douleur.

« Je souffre ! Je souffre ! Je pense qu’il n’y a pas de mère qui ait souffert comme je souffre. Ah ! mon cœur est bien malade.

« J’ai prié, j’ai prié, et pourtant ils l’ont tué !…

  1. « Au Canada », c’est-à-dire, dans la province de Québec, le Canada français. (A. R.)