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Page:Poirier - Les arpents de neige, 1909.djvu/134

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indignations et enthousiasmes

deux fils et son beau-fils étaient tombés aux mains des Canadiens.

Ce récit causa une certaine émotion parmi les Bois-Brûlés. Ainsi, les premiers coups de feu avaient été échangés. Après-demain, demain peut-être, le général Middleton serait devant Batoche…

Vers 5 heures du soir, l’Exovidat se réunit. On regardait avec confiance la fenêtre éclairée de la pièce où Dumont, Lépine, Nolin, qui commandaient aux forces insurrectionnelles, Michaël Dumas, Garnaud, Jackson, secrétaire particulier de Riel, étaient réunis sous la présidence du héros de l’insurrection, de l’homme au regard mélancolique et fiévreux dont la parole ardente et mystique soulevait, quand il le voulait, son peuple comme le vent soulève la mer…

Le bruit courait que Gabriel Dumont répugnait à attendre l’ennemi à Batoche même, et beaucoup se rangeaient à l’opinion qu’on lui prêtait. Pourtant, les avis étaient partagés, et l’on discutait sur ce point dans divers groupes, cependant que des jeunes gens entonnaient à pleins poumons la « chanson à Pierre Falcon », qui est comme l’hymne national des Bois-Brûlés.

Perdu dans cette foule échauffée, Henry de Vallonges sentait aussi le grand frisson de l’enthousiasme lui courir dans les moelles. Comme il la goûtait l’ivresse de se sentir loin, très loin des platitudes de l’époque présente, revenu de cent années en arrière, prêt à donner son sang pour une cause juste, celle de cette petite France d’outre-mer qui avait fleuri si merveilleusement sur le beau