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Page:Poirier - Les arpents de neige, 1909.djvu/135

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les arpents de neige

sol canadien ! À cette heure, il se sentait plus digne de ses aïeux, plus digne de ce Vallonges héroïquement tombé en 1760 sous les balles anglaises aux côtés de Montcalm. Ah ! comme il allait s’y donner de plein cœur dans les prochains jours de lutte à son double devoir de gentilhomme et de Français !

Tandis qu’il frémissait à ces pensées, Jean La Ronde, non loin de lui, s’abandonnait aussi à l’enthousiasme de la foule, mais sans cesser pour cela de songer à celle qu’il aimait… Elle venait de lui sourire en le remerciant de ce qu’il avait fait pour elle et de ce qu’il ferait sûrement encore, car elle avait d’avance préparé une seconde lettre. Mais celle-là, il la remettrait quand il pourrait. Elle lui avait dit formellement, elle ne voulait pas « qu’il s’exposât une seconde fois comme il venait de le faire : elle avait été trop inquiète de son sort durant toute cette nuit-là ». Et il s’enivrait encore de ces paroles de la charmeuse. Si maintenant il partageait le délire de la foule, c’était surtout à songer qu’il allait, en combattant pour les siens, s’exposer pour elle. Et il en éprouvait vraiment une sorte de volupté bien française, la sensation chevaleresque de mêler l’héroïsme à l’amour…

Tout à coup, un grand remous se produisit parmi tous ces gens assemblés. La séance de l’Exovidat était levée, et, presque aussitôt, le bruit se répandit dans le village que l’avis de Dumont avait prévalu et que, dès le jour suivant, tous les hommes en état de porter les armes gagneraient la « coulée Tourond » appelée par les Anglais « Fish-Creek »,