Aller au contenu

Page:Poirier - Les arpents de neige, 1909.djvu/137

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
122
les arpents de neige

Ce fut dans un imposant silence que le chef des Métis prit la parole.

Comme il s’exprimait en langue crise, Vallonges dut se contenter de suivre ses gestes des yeux.

La face exsangue, le regard ardent, il dominait la foule, et souvent son doigt montrait le ciel.

Vers la fin de son allocution, il se tourna vers l’étendard, et ses paroles durent être alors particulièrement émouvantes, car il avait disparu que, pendant quelques secondes, persista le silence, comme si une même émotion serrait toutes les gorges.

Puis, brusquement, un hourra formidable jaillit de huit cents poitrines. Pendant une minute, ce fut un assourdissement. Enfin, peu à peu, cela s’apaisa, et, après l’énorme clameur, la chanson « à Pierre Falcon » monta de toutes les bouches dans l’air, légère et naïve comme un air pastoral.

Une heure après, la plupart des insurgés étaient en selle et quittaient Batoche au milieu d’une haie de femmes et d’enfants. Pierre La Ronde, de retour au village depuis le matin même, chevauchait parmi les éclaireurs indiens.

Tout à coup, son œil vigilant aperçut, au milieu de la foule, la fille d’Athanase Guérin, Rosalie, la jolie Métisse… Mais elle ne paraissait pas prendre garde à lui, et ses beaux yeux bruns étaient obstinément attachés sur un autre point beaucoup plus loin en arrière.

Saisi d’une inquiétude soudaine, il se retourna suivant la direction de ce regard. Et quand il vit quel était l’homme si passionnément fixé par Rosa-