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Page:Poirier - Les arpents de neige, 1909.djvu/162

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propos d’ivrogne

— Quelle question ? Ah ! oui, oui… très bonne pour moi l’eau de feu… très bonne… donne encore… Voici ma gourde.

Devant cette insistance d’ivrogne, le chef Métis parut réfléchir, et, brusquement :

— Suis-moi, dit-il.

Arrivés devant une maison d’assez primitive apparence, faite de terre et de troncs de sapins, ils s’arrêtèrent. Le chef poussa la porte et entra, suivi de Pitre-le-Loucheux vacillant.

L’unique pièce n’avait pour tout ameublement qu’un méchant poêle et un escabeau. Un fusil, une paire de raquettes à neige, deux cognées de bûcheron gisaient dans un coin sur des couvertures. Un peu plus loin, quelques fioles s’alignaient, parmi lesquelles Dumont choisit une bouteille de rhum réservée aux blessés. Déjà, le Cri tendait sa gourde : mais le Bois-Brûlé avait son plan.

— L’homme rouge n’aura de cette boisson qu’à une seule condition, déclara-t-il : c’est de répondre à la question suivante : qui, le premier, lui a donné de l’eau de feu ?

L’Indien parut hésiter :

— Ah ! ah ! fit-il enfin. Tu es rusé comme le « kekouarkess »[1], grand chef sang-mêlé… Donne à boire !

— Non !

Le Loucheux, l’œil brillant de convoitise, fixait la fiole.

  1. Le diable ou le « méchant », nom indien du carcajou, sorte de blaireau d’Amérique.