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Page:Poirier - Les arpents de neige, 1909.djvu/175

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les arpents de neige

pable d’user convenablement de son rifle… Il n’avait qu’à dire cela. Mais le pouvait-il sans faire retomber sur lui le soupçon de la tentative de meurtre ? Pis encore : par un enchaînement logique, fatal, ne lui faudrait-il pas livrer ensuite l’autre secret, le plus terrible, celui dont ils portaient maintenant tous deux, son père et lui, le poids accablant ? Ainsi donc, il aurait failli être fratricide dans une poussée de haine et d’indignation, sans doute, mais, du moins, avec le sourd désir de supprimer un traître sans qu’aucun des siens eût à en souffrir, et il irait maintenant, pour sauver cet ivrogne de sauvage, exposer l’honneur de sa famille ? Non, non, cela était impossible. Il ne parlerait pas.

Devant son silence, Dumont reprit :

— Tu vois… tu ne peux rien dire en faveur de cet homme… tandis que cette balle témoigne assez contre lui… Mais je vais continuer à l’interroger, car cette histoire est plus embrouillée qu’elle ne paraît, et il y a là-dessous maintes choses que je donnerais beaucoup pour arriver à éclaircir.

Durant tout ce dialogue, le Loucheux, drapé dans sa couverture, était accroupi dans un coin, la face sombre, les yeux fixés à terre, complètement indifférent en apparence à ce qui se passait autour de lui. Mais c’était là un calme auquel il eût été imprudent de se fier. Dans sa tête de sauvage, il roulait, au contraire, les idées les plus bizarres.

À moitié ivre dans la tranchée du défilé, il ne s’était pas aperçu de la soustraction de son arme au profit de Pierre La Ronde ; il croyait simplement avoir perdu son fusil… Comment pouvait-on main-