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Page:Poirier - Les arpents de neige, 1909.djvu/193

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les arpents de neige

simulait qu’au prix de grands efforts son tourment intérieur. Ainsi, son fils cadet avait trahi la cause de ses frères de sang mêlé, la cause de Louis Riel ! Parfois, il voulait en douter encore, mais le souvenir de ce billet de l’Anglaise qu’il avait tenu dans ses mains faisait rentrer en lui l’affreuse certitude. Ah ! pourquoi la balle de l’aîné, au lieu de blesser le traître, ne l’avait-il pas étendu raide mort à Fish-Creek ! Qu’allait-il en faire, lui, maintenant, dès que ce Judas serait rétabli ? Le livrerait-il à la justice des exovides ? À la seule pensée que Louis Riel, l’incorruptible Louis Riel, serait instruit de la forfaiture d’un La Ronde, il sentait une sueur froide lui perler au front…

Pierre, lui, quoique de plus en plus sombre, était étranger à toutes ces angoisses. Impulsif, ignorant de l’analyse de soi-même, il n’avait pas su discerner le rôle joué par la jalousie dans son acte. Convaincu de n’avoir cédé qu’à une indignation généreuse, il trouvait sa conduite absolument légitime : à ses yeux, un vrai Bois-Brûlé ne pouvait, en pareille circonstance, agir autrement. Depuis la disparition restée mystérieuse de Lacroix, il partageait avec un autre Métis le commandement d’un groupe d’éclaireurs de Batoche, et ses fonctions lui permettaient de ne plus faire au « log-hut » familial que de très brèves apparitions. Quelquefois, vers le soir, il y apportait des nouvelles, mais presque toujours, sous prétexte d’un service pressé, il disparaissait l’instant d’après, et, s’il lui arrivait par hasard de séjourner quelques heures parmi les siens, il évitait toute occasion de se trouver en