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Page:Poirier - Les arpents de neige, 1909.djvu/299

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les arpents de neige

d’un air sévère, avec son ton toujours un peu autoritaire, il avait prononcé ces mots :

— Rosalie, je ne te blâme pas d’aider à soigner le fils de nos hôtes… Mais n’oublie jamais, jamais, tu m’entends, que ton père est sûr que ce gas-là a voulu nous trahir.

Et comme, bouleversée, elle avait paru balbutier une question :

— Je ne t’en jaserai pas davantage, lui déclara-t-il, mais faut que ça ne te quitte jamais l’idée.

Ah ! qu’elle comprenait bien la signification redoutable de cette phrase. N’était-ce pas comme s’il lui avait dit :

— Je me suis aperçu que tu aimais Jean La Ronde, mais il faut que tu renonces à jamais à l’espoir de l’épouser ?

Et pourtant, en femme intuitive, elle avait la conviction entière, absolue, qu’en dépit de toutes les apparences Jean était innocent. Seule l’Anglaise, cette Anglaise maudite, l’avait enjôlé et trompé, mais son honneur à lui était sauf. Elle l’aurait juré sur la Bible et le Crucifix… Sa foi en lui était intacte, magnifique : elle l’aimait.

Le blessé avait cessé de délirer. Il s’assoupissait maintenant par degrés. Rosalie approcha un siège de la paillasse où il reposait. Longtemps, elle demeura là immobile, les mains croisées sur les genoux, absorbée dans de pénibles pensées, tout en veillant ce sommeil douloureux…