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les arpents de neige

— Père, reprit-il d’une voix où vibrait une émotion contenue, père, tu sais ben que les journaux anglouais nous traitent déjà de sauvages !… On veut donc qu’ils aient raison… Si les Cris et les Pierreux se mettent avec nous…

La voix tranchante de l’aîné l’interrompit :

— M’est avis, cadet, que tu parles en ce moment tel qu’un Anglouais |

— Tel qu’un chrétien, tu veux dire…

— On est chrétien autant que toué…

Ils s’échauffaient. La face ramassée de Pierre La Ronde, coupée à gauche par la blancheur de sa longue cicatrice, avait quelque chose d’agressif.

Il devenait urgent d’intervenir.

— La paix donc ! cria Baptiste d’un ton de commandement. Et tout de suite il ajouta :

— C’est pas tout ça… Mais, allons faire notre somme. On en a tous besoin, et toué, Jean, encore plus que les autres. Mâtin ! j’sais pas ce qui te tient, mais ton voyage t’a fameusement remué le sang et les idées !

Durant plusieurs heures, Henry de Vallonges, tourmenté d’une sorte de fièvre héroïque, se retourna sur son matelas en feuilles de maïs, incapable de trouver le vrai sommeil. Une fois même, il se réveilla tout à fait, croyant entendre non loin de lui de faibles gémissements.

C’était son voisin de lit, le cadet des fils La Ronde, qui rêvait tout haut. Sa voix plaintive se traînait dans l’ombre entrecoupée de silences.

Légèrement impressionné, Henry revit en esprit la silhouette élégante du garçon dressée dans