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présentations

même pas l’émouvoir beaucoup. Il se contenta de faire à ce sujet quelques réflexions banales, et ce manque d’enthousiasme scandalisa ses frères secrètement.

Mais Baptiste ayant ajouté que le Gouvernement expédiait de Winnipeg des carabiniers et du canon, il exprima ses craintes pour l’avenir d’un ton tellement amer que Pierre, son aîné, le regarda d’un œil mécontent :

— J’espère ben, lui répliqua son père d’un air un peu piqué, que t’as pas l’idée de blâmer ce qu’a fait Louis Riel, Avec des « gensses » comme les Anglouais, c’est pas des « jasettes », mais des fusils qu’y faut pour « avouère justice ! »

À ce moment, le jeune homme avisa sur la table les verres et la bouteille de vieux rhum qu’on ne débouchait que dans les grandes circonstances.

— Quelqu’un est venu « icite » ?

— Oui, mon gâs, répondit François, Louis Riel en personne. Même qu’il m’a prié d’aller demain quérir des renforts chez les Cris.

À ces mots, Jean pâlit sous son bistre.

— Foi d’homme ! s’écria-t-il, c’est triste |

Il s’était levé. Sa voix, indignée, était âpre.

Cette sortie inattendue stupéfia les assistants. Il y eut une seconde de silence, puis Baptiste, le regardant d’un air calme, maïs sévère :

— Quéqui te prend ? Je t’entends pas, tu sais… Explique-toué…

Mais, déjà, le jeune homme s’était ressaisi. Pourtant, il demeurait un peu pâle, et Vallonges s’aperçut que ses mains tremblaient légèrement.