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Page:Poirier - Les arpents de neige, 1909.djvu/316

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deux revenants

poésie qui survit dans certains cœurs jeunes à l’enthousiasme de l’amour, s’en aller dans un suprême dégoût. Quoi qu’il dît, il avait toujours pensé jusque-là qu’il y avait dans la conduite de l’Anglaise à son égard plus de sincérité que de calcul : son âme sincère et neuve répugnait à admettre qu’il en fût autrement chez cette belle fille de vingt ans, à la voix insinuante et aux regards si droits et si clairs… Mais maintenant, une honte, une confusion si inexprimables d’avoir joué un tel jeu de dupe, l’envahissaient, que seul le souvenir de miss Clamorgan lui devint subitement odieux. C’était bien fini… Et, désormais, son amour-propre à vif le faisait seul souffrir.

— Je te remercie, Lacroix, dit-il enfin d’un ton amer, de m’avouère guéri de cette femme à qui je pensais des fois encore… À c’te heure, je n’y songerai plus qu’avec mépris.

En ce moment même, Rosalie Guérin sortait de la ferme et passait, au loin, dans le soleil. Du menton, l’ancien éclaireur la désigna à son compagnon :

— V’là ce qui te faudrait, tiens, Jean, dit-il. Une brave et jolie fille de Bouais-Brûlé comme celle-là… Travailleuse comme pas une… et bonne ! Moué, ça me chavire le cœur quand je pense que son frère est mort, que son père est en train de passer, et qu’elle va rester seule dans le monde… Si tu voulais — pourtant, Jean !

Jean regardait Rosalie aller et venir dans la lumière… Longtemps, durant surtout qu’il était sous l’influence de l’Anglaise, il n’y avait guère