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un point noir

la paix entre vos gâs… Y a Pierre et Jean qui se disputent dur là-haut.

La Ronde s’arrêta net.

— Jean, vous dites ?… Vous vous trompez sans doute !

— Oh ! que nenni ! c’est ben votre cadet…

— Où sont-ils ?

— À l’autre bord du village, vis-à-vis chez les Guérin.

Déjà, le compagnon du Français s’éloignait à grandes enjambées, les lèvres serrées, les sourcils froncés :

Bigre ! se dit intérieurement Vallonges, il n’a pas l’air si placide que tout à l’heure le père Baptiste !

Il fut bientôt à même d’apprécier la justesse de cette réflexion intime.

Bien avant d’arriver à l’autre extrémité du village, ils aperçurent les deux frères arrêtés au bord du chemin. Ils discutaient, en effet, et de façon si vive, que, de loin, ils paraissaient prêts à en venir aux mains. Les deux hommes ayant pu s’approcher d’eux sans être remarqués, des mots malsonnants leur arrivèrent aux oreilles. D’un ton rude, le père cria :

— Silence ! les gâs…

À cette voix bien connue, les jeunes gens tournèrent la tête. Mais telle était leur exaltation que l’intonation sévère de Baptiste ne les intimida pas. Violemment, l’aîné se porta en avant, la figure toute pâlie sous son bistre, et sa longue cicatrice blanchie par le courroux.

— Père ! s’écria-t-il en désignant le cadet de son