Page:Poirier - Les arpents de neige, 1909.djvu/80

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
65
un point noir

sentiments les plus intimes étaient en jeu, devait demeurer son secret… Il se borna donc à raconter ce qu’il savait de la prise et l’incendie du Fort Pitt, ajoutant, sans insister, qu’il avait eu la chance de sauver quelques colons d’une mort certaine et probablement horrible, lorsque le radeau était tombé aux mains des Peaux-Rouges.

Ce récit parut satisfaire Jean-Baptiste La Ronde. Toutefois, il conclut :

— J’sais ben que c’est « tentatif » pour un bon chrétien d’agir comme t’as agi, mon gâs… Mais, pas moins, faudrait rin exagérer. À la guerre comme à la guerre, tu sais ben !

Et, se tournant vers Pierre qui marmonnait entre ses lèvres charnues des paroles incompréhensibles :

— À c’te heure qu’on s’est expliqué, vous allez vous toucher la main, je pense !

Mais l’aîné des La Ronde jeta sa carabine sur son épaule droite en secouant la tête :

— Non ! déclara-t-il d’un air sombre. Chacun son idée, moué je ne touche pas la main aux amis des Anglouais !

Et, sur ces mots, il s’éloignait à grands pas :

— Il « écardit » (maltraite en paroles) un peu le monde quand il est coléreux, dit le père au bout d’un instant. Mais il n’est pas méchant, dans le fond… Faut pas te faire de mauvais sang pour ça, mon gâs… ça lui passera.

Jean, un peu sombre, secoua la tête d’un air de doute et se dirigea pensif vers la maison paternelle.

Henry demeurait sur place, appuyé sur son fusil et fâcheusement impressionné par cette scène, la