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Page:Poirier - Les arpents de neige, 1909.djvu/89

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les arpents de neige

était apparu comme un homme extraordinaire et séduisant. Il comprenait maintenant l’énorme ascendant qu’un pareil chef exerçait sur ses compatriotes, et lui-même s’était senti entraîné par l’éloquente conviction de ses moindres discours, qui coulaient tantôt dans l’harmonieuse langue des Cris, tantôt en un français pur auquel les tournures surannées venaient ajouter, de temps à autre, un charme archaïque doux et prenant comme une musique ancienne.

Mais, ce qui avait à la fois charmé et surpris Vallonges, c’était cette sensation de vivre, de respirer dans une atmosphère presque idéale de loyauté et de foi. C’est ainsi que Louis Riel venait de se dénier le droit de profiter de la situation embarrassée de la colonne canadienne, dont la marche, au dire des éclaireurs, était des plus pénibles parmi le froid, le vent, le dégel commençant, avec des convois qui s’embourbaient… Et presque tous les Métis présents, avaient approuvé cette déclaration de leur chef et affirmé, en revanche, leur résolution de lutter jusqu’à la mort contre les troupes anglo-canadiennes dès que celles-ci auraient abandonné le territoire de la « Puissance » et franchi les limites des paroisses…

Enfin, vers la fin de la séance, Vallonges avait vu ces hommes se lever et écouter debout, dans un recueillement profond, la prière improvisée que Louis Riel, les mains sur la table et les yeux au ciel, avec, sur sa face inspirée, un extraordinaire rayonnement mystique, adressait d’une voix vibrante au Tout-Puissant…