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Page:Poirier - Les arpents de neige, 1909.djvu/98

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anglaise et bois-brûlé

La jeune fille le regarda fixement :

— Non… c’est une plaisanterie, n’est-ce pas ? Vous n’irez pas… ce serait trop fou !… Et vraiment, j’aurais tant de remords… de peine… s’il vous arrivait malheur !

Cette fois, Jean La Ronde sentit tout son sang lui refluer au cœur… Que signifiaient ces paroles, ces paroles troublantes prononcées sur un ton plus troublant encore ?

Et, subitement, un étrange vertige s’empara de son être… Ses doigts nerveux encerclèrent le mince poignet de la jeune fille, et, d’une voix haletante :

Miss, voulez-vous fuir ? Je vous en donnerai les moyens… nous fuirons…

Il s’était penché vers elle, et, à la lueur du falot, ses yeux brûlaient d’un éclat singulier. Miss Elsie, un peu pâle, se rejeta en arrière, presque effrayée d’un si soudain déchaînement de passion :

— Laissez-moi, gronda-t-elle d’une voix couverte, mais ferme. Ne me touchez pas ! Ne voyez-vous donc pas ceux qui sont derrière nous ? Que vont-ils penser d’une pareille scène ?

Plus encore que cette juste remarque, le ton froid sur lequel elle était faite calma le Métis. Il aperçut, en effet, au fond de la salle, dans la pénombre, les captifs qui, intrigués, les regardaient. Le farmer, les sourcils froncés, semblait même prêt à intervenir…

Jean La Ronde, gêné, se redressa, et, laissant aller la main de la jeune fille avec un soupir :

— Pardonnez-moi, murmura-t-il, j’étais fou…

Elle le sentait si faible à présent, si désarmé