Page:Poirier de Narçay - La Bossue.djvu/10

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du vif argent dans les veines. C’est dommage qu’elle soit comme ça.

Ce à quoi Beauvoisin répliquait :

— On ne peut pas se refaire.

Estelle Cousinard constituait, en effet, une horrible contrefaçon humaine. Outre sa double bosse, elle était affligée d’une claudication assez forte pour nécessiter l’emploi d’une béquille, lorsqu’il s’agissait de mener à bien une longue marche.

Sa stature était celle d’une naine. Mais la tête était remarquablement jolie. Un nez à la grecque, un front large, une petite bouche aux lèvres rouges et sensuelles, des cheveux châtains magnifiques constituaient un ensemble fort séduisant, et les yeux qui le complétaient, noirs, aux cils abondants de même nuance, lançaient des lueurs étranges dont les gas s’étonnaient :

— Elle vous en a des quinquets, c’te petite bossue, disaient-ils.

La nature parfois aime ces massacres d’êtres vivants. Là, c’est un veau à cinq pattes ou à deux têtes qu’elle enfante, ailleurs des frères Siamois ; sur un autre point terrestre, elle produit des becs de lièvre, des faces d’hommes à profils de singes ou des bossues-bancales terminées par des têtes de Vénus de Milo.

Le garçon des Thibout habitant le Tilleul-Othon, village voisin de l’importante ferme, avait fait une judicieuse remarque.

— Pour aimer Estelle faudrait lui mettre le corps dans un sac. Alors vous comprenez que la tête ne suffisant pas en ménage, on doit en faire son deuil.

Giraud s’était montré moins exigeant et la tête lui avait fait accepter le corps. Cette hérésie consistant dans le mépris des notions esthétiques habituelles, avait accaparé son esprit et ses sens.

Cet amour singulier était né de façon presque ordinaire.

Estelle Cousinard toutes les fois qu’elle rencontrait le beau gars normand, ne pouvait s’empêcher de lui lancer à la dérobée des regards admiratifs.

Vraiment ce n’était point la timidité qui la rendait aussi