Page:Poirier de Narçay - La Bossue.djvu/9

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Beaumont-le-Roger, sur le plateau fertile où les blés et les avoines poussent vigoureusement, elle constituait toute l’année une ruche où, contrairement à celles des abeilles, il n’existait pas de morte-saison. On y travaillait dur l’été, et, on ne chômait guère pendant que les froids sévissaient.

Pendant les chaudes journées on fauchait et rentrait blés, avoines, luzernes, trèfles rouges, vers l’automne on arrachait les betteraves, en hiver on labourait, ensemençait, et le fumier odorant, soigneusement tassé au centre de la cour, s’en allait sur de vastes chariots féconder la campagne.

On avait ri du patron, le père Beauvoisin, gros et plantureux bonhomme à la face rubiconde, lorsqu’il avait embauché Estelle Cousinard. Les bonnes gens du village avaient jasé :

— Quoi qui veut faire de c’te bossue ? s’étaient écrié les uns.

Des farceurs avaient risqué une hypothèse plaisante :

— Sans doute que sa femme est trop plate. Ça le changera.

Un autre accentuait la facétie par cette réflexion aussi vieille que philosophique :

— Tous les goûts sont dans la nature.

Certains, plus avisés, émettaient une idée raisonnable bien que superstitieuse :

— Hé ! les enfants, la bosse ça porte bonheur.

Cependant le fermier, parfait Normand, laissait dire et ne disait rien.

À toutes les plaisanteries, il opposait une réponse énigmatique fort en usage au pays des pommes :

— P’tê’t’e ben.

La vérité était qu’il avait trouvé à cet avorton de femme une activité surprenante, une aptitude au travail que des filles monumentales ne présentaient qu’à un degré bien plus faible.

— Je ne sais pas comment qu’elle fait, disait la mère Beauvoisin, — une Normande brune offrant l’épaisseur d’une planche — avec sa jambe croche et son dos soufflé, elle trotte aussi vite que moi et travaille une fois plus. Elle a