Page:Poirier de Narçay - La Bossue.djvu/128

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quis ferait ben mieux de vous employer à surveiller c’te mauvaise graine qu’à chasser des braconniers qu’existent point. En avez-vous vu un depuis plus de deux mois que vous furetez toutes les nuits à travers les taillis et les bruyères ? En avez-vous vu, dites ? Et puis quand il y en aurait, croyez-vous qu’ils ne rendent pas des services au marquis qui veut ses plaisirs et du rapport. Vous savez ben que ce ne va pas l’un avec l’autre. Il aime l’argent et les bêtes. Lui faut des taillis à couper tous les quinze ans et puis ses animaux ne les laissent pas quasiment pousser. Vous le savez ben, vous vous en plaignez, si bien que vous arrivez à décider le marquis qui organise quelques chasses au fusil pour détruire la bicherie. Alors qui que ça peut faire que les braconniers, s’il y en a, j’en sais ren, moi, en descendent une trentaine par année ?

Et puis toutes ces sales bêtes mangent autour de la forêt le bien au pauvre monde. Faut aller trouver le régisseur, faut tourmenter madame la marquise pour se faire payer les dommages.

« Ah ! vous vous plaignez toujours, père Giraud, qu’elle fait. C’est pas possible que des lapins dévorent tant que ça. » Et puis un tas de raisons qui n’en finissent pas, pour payer le moins possible. À la fin des fins vous ne rentrez point dans votre dû.

Aussi j’aime mieux les épouvanter la nuit à coups de fusil que d’aller quémander pour ren ou presque ren avoir au château.

Alors, l’été j’suis comme vous, mon pauvre Billoin. J’dormons quasiment point. Seulement, vous, c’est parce que vous le voulez ben. Pas de danger que le marquis se tire de la plume pour venir voir si vous êtes sur votre couette à minuit.

Le garde assommé par cette faconde au travers de laquelle la finesse villageoise glissait des arguments irréfutables, hochait la tête, pas convaincu mais désarmé. Sans doute il s’était dit bien des fois que M. de Curvilliers avait tort de laisser pulluler les animaux au détriment des taillis. Il fallait transformer la forêt en futaies et renoncer à tout rapport, ou bien diminuer les bêtes. On ne pouvait sortir du dilemme.