Page:Poirier de Narçay - La Bossue.djvu/17

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Pendant trois mois Mme Beauvoisin observa et n’osa rien dire. Un jour elle était certaine, le lendemain elle doutait et ce fut Estelle qui, un après-midi, pendant que les domestiques mâles et femelles étaient aux champs, se décida à parler.

— Madame Beauvoisin, j’vas être obligée d’vous quitter.

— Tiens, pourquoi ça, ma fille ?

— Voyez-vous, madame Beauvoisin, il m’est arrivé un malheur.

— C’est donc vrai ce qu’on m’a conté ?

— Hélas, ça n’est que trop sûr.

Et la fermière, qui possédait la résignation rurale devant les faits accomplis, n’insista pas.

— Et où vas-tu aller comme ça, Estelle ?

— Giraud a loué une petite maison au Val-Gallerand.

— Et Giraud ?

— Si c’était de votre bonté de le garder ? Il n’ose pas vous causer, pas plus qu’au patron.

— Mais c’est un bon travailleur et vos affaires ne nous regardent pas.

— Merci, madame Beauvoisin.

— J’en parlerai à mon mari.

Et les choses se passèrent ainsi que l’avait voulu la bossue, dont la tête suppléait à l’insuffisance physique.

Elle eut sa maison et le père Giraud, après de nombreuses hésitations, finit par donner son consentement au mariage, à cause de l’enfant, un gros poupon du sexe mâle, fort et bien constitué, qui vint au monde assez aisément et démentit par sa naissance facile le noir pronostic du docteur Boulard.

— C’est ben la première fois qu’il se trompe, affirma le père Mathieu.

Quant à Giraud, il continua à travailler à l’exploitation Beauvoisin pendant quelque temps et son ambition consistait à y faire rentrer Estelle.

La ferme en effet était loin de sa maison. Il aurait bien mis les enfants en nourrice, si sa femme ne s’y était opposée, car il était venu un nouveau poupon, toujours merveilleusement bâti, douze mois après le premier. Et cette fois