Page:Poirier de Narçay - La Bossue.djvu/19

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malheur des autres. Giraud devint jaloux. Il quittait son travail pour constater à l’improviste ce que faisait la bossue pendant son absence.

Et puis les camarades se moquaient de lui :

— Qui que tu fais de ta femme, Giraud ? Pour sûr que tu dois la perdre dans les draps ! Prends garde qu’on ne te la vole.

Les esprits simples sont faciles à impressionner. Les plaisanteries, qui s’adressent à ceux dont la réplique est difficile, deviennent des méchancetés qui confinent à la férocité.

Giraud comprit que la vie ordinaire, avec sa nature faible d’esprit enfermé dans un corps vigoureux, n’était plus faite pour lui.

D’ailleurs, Estelle, heureuse d’avoir une maison et des enfants, s’obstinait à repousser l’idée de rentrer à la ferme.

Alors il abandonna le labour et se fit braconnier. Non point qu’il se consacrât exclusivement à cette carrière proscrite par le code, comme toutes les libertés absolues ; mais il allait travailler a la journée de-ci, de-là, labeur intermittent qui lui laissait une indépendance relative et toutes ses nuits qu’il partageait entre Estelle et l’affût.

Le garçon de ferme ne peut guère s’absenter pendant la semaine, à moins qu’il ne demeure dans le village même où il travaille, ce qui est une exception ; car les propriétaires ou les fermiers préfèrent avoir constamment leurs domestiques sous la main. Et puis le voisinage de la famille de ces derniers est un inconvénient qu’ils savent éviter.

Ils comptent sur l’éloignement pour empêcher des visites trop fréquentes qu’interdit la lassitude quotidienne.

D’ailleurs tous les ancêtres de Giraud avaient plus ou moins braconné. Son père ne se refusait point ce plaisir ; mais il trouvait le métier trop dangereux et préférait vivre en cherchant des ressources ailleurs.

Il possédait quelques arpents de mauvaise terre qu’il cultivait avec acharnement. Il avait même trouvé moyen de faire du braconnage légal en semant sur la lisière de la forêt des céréales suggestives pour le gibier.

Il avait fait d’une pierre deux coups ; car il demandait au