Page:Poirier de Narçay - La Bossue.djvu/21

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née pour l’affût, attendait le moment de faire un beau coup de fusil. Et son « fieu » trouvait souvent le moyen de prendre les fuyards à revers et de leur infliger des pertes sensibles.

La forêt de Beaumont-le-Roger est une des plus pittoresques et giboyeuses de Normandie. Le marquis de Curvilliers en est justement fier et ses chasses à courre sont célèbres dans la contrée et le monde select qui s’intéresse à ce genre de sport.

Les cerfs et les biches y sont tellement nombreux qu’ils causent des préjudices sérieux dans les jeunes ventes où les taillis mutilés ne poussent que lentement. Aussi M. de Curvilliers ne se préoccuperait guère des braconniers, s’ils ne s’attaquaient pas de préférence aux dix-cors sans lesquels ses chasses n’auraient plus d’attraits.

Cependant ses gardes, par excès de zèle, exagération commune chez les subalternes, faisaient des procès le plus souvent qu’ils pouvaient. Mais, quand les faits n’étaient pas trop graves, quand il ne s’agissait que d’une ou plusieurs biches, l’affaire se terminait par une admonestation sévère et une petite gratification aux gardes qu’offrait le marquis.

— Tenez, disait-il au délinquant, voilà un louis. Vous donnerez dix francs au garde et le reste sera pour attendre que vous vous procuriez de l’ouvrage.

Chacun y trouvait son compte. Le garde empochait dix francs, le braconnier aussi, et le marquis protégeait par la reconnaissance ses dix-cors. Les biches, il en restait toujours trop.

Il n’y avait que les braconniers de race, ceux pour qui l’affût était une passion, qui se moquaient du château et agissaient à leur guise. Pour ceux-là, M. de Curvilliers était impitoyable. Ils le savaient et leur capture était presque impossible à tenter, parce que le garde qui les rencontrait aurait risqué sa peau, s’il avait voulu leur dresser procès verbal. Or exposer sa vie pour un dix-cors était une extrémité fâcheuse devant laquelle presque tous les forestiers hésitaient. Ils préféraient de beaucoup fermer les yeux.

Le vrai braconnier obéit à un instinct ainsi que le chien de chasse, instinct qu’il tient sans doute de race comme ce